23 sept. 2007

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LE VIN DU PAPE
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Ce pape me plaît à verse
Qui, dans un accord divin,
Sait joindre à son saint commerce
Celui de marchand de vin.

Savez-vous rien de plus digne ?
Epandre sous le ciel bleu
L’auguste sang de la vigne
Avec le verbe de Dieu !...

Mais laissons là le pontife,
Parlons du marchand de vin :
Une chose m’ébouriffe
Toujours d’un marchand de vin,

Et je me demande, comme
Le sage Khèyam, souvent :
Que peut acheter cet homme
De meilleur que ce qu’il vend ?



Ecoutez, buveurs insignes :
Vous pensiez, ô pauvres fous,
Que le Pape avait des vignes
Superlatives ?...J’ t’en fous !

Pontificales ! Papales !
Qui suaient un vin en or
Digne de Sardanapales
Non seulement, mais encor

Apte à rosir son ciboire ;
Si bien que vous vous disiez :
Dieu ! que l’on voudrait en boire,
En tapisser son gosier !


Un vin formidable, insigne,
Tel qu’il n’en est de meilleur,
Sinon peut-être en la Vigne
Eternelle du Seigneur.

Buvez sur vos deux oreilles,
Quittez ces rêves dorés
Et ne songez plus aux treilles
Du Pape, car vous saurez

Que sa vigne est ridicule.
Chétivement elle croît
Dans le vague crépuscule
D’un Vatican morne et froid

Et le long d’un mur morose
Comme un air d’accordéon.
Autant vouloir qu’une rose
Pousse au sein de l’Odéon.


Il en tire quelques litres
D’un vin aigre, âpre, dur, sur
A faire grincer des vitres,
Et bleu gendarme à coup sûr ;

Une quelconque vinasse,
Un suresnois picolo
Qui appelle la grimace
Comme quand on boit de l’eau,

Une piquette hérétique,
Un infâme reginglard
Sans âme, sans esthétique,
Sans rien là, tel Abélard,

Et bon à salir la nappe
Tout au plus d’un cabaret ;
Jamais la gueule du Pape
Ne s’en accommoderait.

N’en voulant pas pour sa table,
C’est pourquoi le vieux barbon
Vend ce vin si lamentable
Pour s’en acheter du bon.




Raoul Ponchon
le Courrier français - 06 nov. 1892

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