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LE MARCHAND D’ESCLAVES
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( CONTE ORIENTAL )
Un sultan se baignait un jour
Avec des seigneurs de sa cour.
Seul, assistait à la trempette,
Sans y prendre part, son bouffon,
Un singe oublié par Buffon,
Mais, au demeurant, pas trop bête.
Et donc, il se faisait un jeu
D’habiller ces messieurs un peu,
Aussi court vêtus que possible.
Il te les passait à son crible,
Et ne tarissait pas d’esprit
Sur leur respectif gabarit,
Chacun en prenant pour son grade
Voire même, le camarade,
Cependant qu’il était en train,
N’épargnait pas son souverain.
Celui-ci n’y prenait pas garde
Autrement. On sait que les rois
Aiment à rire quelquefois,
Et permettent qu’on les brocarde,
Ca les change du tout au tout.
D’ailleurs, les quolibets d’un fou
Ne sauraient avoir d’importance,
Et dans ladite circonstance,
Mon sultan s’amusait beaucoup.
Or, voilà-t-il pas, tout à coup,
Qu’il surgit une idée absurde
( En Turquie on peut dire kurde )
Dans son crâne mahométan :
« - Ecoute-moi, gland de potence,
Si tu tiens à ton existence,
- Dit à notre fou le sultan -
C’est assez rire, soyons graves.
Je suppose, pour un instant,
Qu’on soit au marché des esclaves.
C’est nous les esclaves, c’est toi
Le marchand, ça va de soi,
Et ton commerce est de nous vendre
Tu vas tout de suite comprendre…
Je voudrais savoir à quel prix
Tu nous céderais - moi compris -. »
Notre bouffon, il va sans dire,
Ne se fit nullement prier,
Trouvant, à ce jeu singulier,
Nouvelle occasion de rire.
Aussi, sans tarder, gravement,
Il commença son boniment,
Cotant à des prix dérisoires
Les seigneurs les plus méritoires ;
Tel vizir, au puissant cerveau,
Il l’estimait non plus qu’un veau ;
Tandis que les fripons, les pleutres,
Et les courtisans les plus neutres,
Il en demandait le prix fort.
Malgré ce jugement discord,
Les mauvais seigneurs, somme toute,
Etaient satisfaits, et j’ajoute
Que les bons n’en prenaient souci…
« - Et moi, qui suis à vendre aussi,
Fit le sultan. Quelle est ma cote ?
Je m’en rapporte à ta jugeote. »
« - Oh ! Quant à toi, je te vendrais
Trente paras, que je croirais
Avoir fait une bonne affaire. »
« - Trente paras ! Hé ! Mon compère !
Mais mon caleçon, par Allah !
A lui tout seul vaut ce prix-là ! »
Notre fou, de réplique prompte :
« - C’est aussi mon opinion,
Et c’est bien pourquoi je le compte
En ladite estimation. »
R.P
1912
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