26 sept. 2007

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EDISON
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Rien n’est impossible à l’homme ;
Ce qu’il ne peut pas faire, il le laisse.
(Sagesse des Nations)


Vous êtes, Edison, un merveilleux savant,
Un inventeur énorme,
* *
Tel qu’il n’en exista jamais auparavant
Depuis l’antique Norme.

Vous êtes, quoique jeune encore, étant âgé
Seulement de neuf lustres,
Considérable, et vos travaux, vous ont rangé
Parmi les plus illustres.

La lune et le soleil sont dans votre trésor ;
Vous peignez des comètes
Comme des écheveaux, et les étoiles d’or
Vous servent d’allumettes ;

A votre voix les flots s’agitent, le feu luit,
La terre a peur, l’air tremble,
Et vous faîtes le jour tour à tour, et la nuit,
Quand ça n’est pas ensemble.

Vous maniez l’éther et l’électricité.
Grand alchimiste, ô mage !
Si Dieu n’existait pas, vous l’auriez inventé,
A votre propre image.

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Tous les matins, avant votre premier repas,
Vous découvrez les Causes ;
L’on voit jaillir de l’or sous chacun de vos pas,
Des diamants, des roses !

Vous ne connaissez pas d’obstacle ; vous pouvez
Selon votre caprice
Faire de l’eau-de-vie avec les durs pavés,
Ou de l’eau de mélisse.

Enfin, vous démontrez que, s’il est entêté,
L’homme est de tout coupable.
Malgré cela, je vous le dis en vérité
Vous êtes bien coupable ;

Vous usez vos efforts à nous créer un tas
De besoins nécessaires ;
Chacune de vos inventions fiche en bas
Une de nos chimères.

Vous nous avez doté de mille trucs nouveaux
O Dieu de la machine !
J’admire comme il sied vos immenses travaux,
Mais rendez-moi la Chine !

Aujourd’hui vous songez à me la faire voir
Du fin haut de la Butte ?
J’aime autant la rêver comme un venez-y-voir
Où mon esprit se bute.
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A force de regarder loin, atrophiés
Comme ceux d’un potage
Nos yeux ne verront plus bientôt même nos pieds ;
Ah ! Le triste avantage !

En revanche, d’ici nous pourrons voir vomir
Un pou dans la banlieue.
Qui sait ? Un de ces jours vous nous ferez sentir
Un étron, - d’une lieue !

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* *

Que vos inventions couvent d’ennui profond !
Quelle chose bouffonne !
Il est des amoureux aujourd’hui qui se font
La cour par téléphone !

Grâce à vous, l’on entend encore après leur mort
Hurler les belles-mères ;
Et l’on peut conserver comme un rare trésor
Nos discours éphémères !

Wolf, notre soprano, peut baver désormais
Dans votre phonographe,
Et nos petits-neveux entendront à jamais
Cette voix de girafe.
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Ils entendront nos cris, nos querelles et nos
Discussions chétives ;
Ils entendront aussi ronfler nos tribunaux
Et nos Législatives.

Des choses seulement bonnes à conserver
On gardait la mémoire
Jadis, ça permettait quelque peu de rêver
Et d’écrire l’histoire ;


A partir d’aujourdhui l’on enregistrera
Toutes les rocamboles,
Aussi bien le pathos des ténors d’opéra
Que les nobles paroles ;

Et comme les crétins ont le verbe plus prompt
Que les plus fiers Goëthes,
Leurs ignobles potins plus tard étoufferont
La vis de nos poètes !

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* *


A l’instar du Patron, vous créez, vous aussi ;
Du fond de votre usine
Peut-être qu’un jour vous chambarderez aussi
Notre Sainte Cuisine ?


Que vous distribuerez à l’univers entier
Atteint de boulimie,
En fait de nourriture, ô savant gargotier,
Une vague chimie !

Que vous créerez un tas d’androïdes fieffés,
D’automates infâmes
Qui prendront leur absinthe aux portes des cafés
Et le… menton aux femmes !



Raoul Ponchon
1889





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