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FABLE ou HISTOIRE
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Etait une fois un pauvre homme
Qui n’avait jamais bu de vin
Mais bran d’orge et pipi de pomme
Ou tout autre breuvage vain.
Qu’il était donc pauvre, le povre !
Il avait un sang pâle et clair
Comme l’on l’a dans les Hanovres
Et que l’on appelle Müller.
Il vivait quand même ?… il faut croire.
Bien que ce soit mourir un peu,
A mon avis, de ne pas boire
De ce joli vin du bon Dieu.
Il était pourtant un apôtre
De cent ans ! Mais, qui sait ? Le vin
Peut-être bien - comme dit l’autre -
L’eût fait âgé de cent et vingt.
Et pourquoi donc à n’en pas boire
S’obstinait-il, ce vieux barbu ?
Ma foi… tout ce que dit l’histoire
C’est qu’il n’en avait jamais bu.
Or, un jour, jour des plus bibliques,
Son roi, gai, sortant du dodo,
Fit dans les fontaines publiques
Couler du vin en place d’eau.
Il but donc du vin, le bonhomme,
Comme tout le monde, et voilà
Qu’en son pauvre sang de pauvre homme
Le rouge élixir circula
De-ci de-là dans chaque veine :
« Réveillez-vous les engourdis,
- Disait-il - a-t’on de la peine !
C’est moi le Vin, que je vous dis.
« Et toi, vieux birbe curviligne,
Que l’âge et la mort vous suçant,
Je suis le pur sang de la Vigne,
Le frère de ton propre sang.
« Oui, je suis, te dis-je, son frère,
Comme lui chaud et purpurin,
Et je viens un temps te distraire
Et te ravitailler un brin.
« Allons, grouille-toi, vire, bouge,
A ton âge, mon vieux lapin,
Tu devrais avoir le nez rouge,
Mets cela sur ton calepin. »
Le vieillard but un second verre
Il allait conspuant Pousset,
Et après le cinquième verre
La sagesse alors lui poussait.
On fut obligé de le battre
Car sans ménagement aucun
Il voulait boire comme quatre,
Il prenait la part de chacun.
« Oui, tu es mon chef légitime,
Toi de qui j’apprends, ô mon roi,
- Disait-il - ce vin que j’estime
Plus utile que mon bras droit. »
Et pris d’une folie amère
Avant qu’on pût l’en empêcher,
Voilà que d’un couteau sommaire
Ce pied courut son bras trancher.
Zèle intempestif - on veut croire -
Avoir son bras droit c’est plus gai,
Quand ça ne serait plus que pour boire
Lorsque le gauche est fatigué.
Le vieux mourut, carcasse usée,
Mais il avait fait son devoir.
Il légua son bras au musée
Où les Anglais viennent le voir.
La morale de cette histoire
C’est : à quoi bon d’être manchot ?
On n’a pas trop de bras pour boire
Quand il fait chaud. Dieu, qu’il fait chaud !
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
22 sept. 1895
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