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La Soupe sans sel
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(CONTE)
Lorsque le Seigneur eût créé
De boue idéale et de rêve,
Et parfait, et dûment gréé
Nos ancêtres Adam et Eve,
Il fit venir à lui ses saints
Et leur dit : « A vous, mes cousins,
A vous le soin de leur apprendre
De quelle sorte il faut s’y prendre
S’ils veulent avoir des enfants
Comme eux, superbes et pimpants. »
Sur ces mots, nous conte l’histoire,
Il rentra dans sa propre Gloire.
Les saints étaient embarrassés.
Bien des avis furent lancés.
L’un dit : « Eh bien, l’homme et la femme
Pour réaliser le programme
Se frotteront le bout du nez
Jusqu’à ce que l’enfant soit né. »
Et l’autre : « Moi, je leur conseille
De s’entre-souffler dans l’oreille… »
Un troisième : « Ils feraient bien mieux
De se regarder dans les yeux.
C’est, puisqu’il faut qu’on vous l’explique,
Moins fatigant et plus pratique.
Et l’enfant sans plus de retard
Sera conçu de ce regard. »
Parfait ! dirent les vénérables,
Et maintenant passons à table.
Voilà donc assis ces élus
Au nombre d’un millier et plus
Devant une soupe, un vrai baume,
Chef-d’œuvre de Jean Chrysostome,*
Un cuisinier des plus subtils.
Mais, hélas ! à peine eurent-ils
Une cuillère avalée,
Qu’ils dirent : « Elle n’est pas salée ! »
Et voici que notre Vatel
Ayant sa main pleine de sel
La secoua sur chaque assiette,
Mais sans en lâcher une miette.
Les saints goûtèrent de nouveau :
« Pas salée encore ! eh fourneau !
Cette soupe n’est pas mangeable.
La sale, ou bien va-t’en au diable ! »
Alors, lui, laissa cette fois
Le sel glisser entre ses doigts :
« A présent est-elle meilleure ?
- A la bonne heure, à la bonne heure !
- Eh bien, mes amis, dîtes-moi,
Dit le bon cuisinier, pourquoi
Tout à l’heure elle était fadasse,
Bien que sur elle j’agitasse
Ma main toute pleine de sel ?
Hein ? Répondez-moi bien et bel ?
- Parce que, mon vieux Chrysostome,
Tu n’en lâchais pas un atome.
- Et vous voudriez qu’un moutard
Naquit, comme ça, d’un regard !
- Ta bouche est en or, Chrysostome,
Il n’en sort que des axiomes, »
Répondirent les saints confus,
En attendant qu’ils furent bus.
R.P
le Courrier Français - 15 déc. 1901
Lorsque le Seigneur eût créé
De boue idéale et de rêve,
Et parfait, et dûment gréé
Nos ancêtres Adam et Eve,
Il fit venir à lui ses saints
Et leur dit : « A vous, mes cousins,
A vous le soin de leur apprendre
De quelle sorte il faut s’y prendre
S’ils veulent avoir des enfants
Comme eux, superbes et pimpants. »
Sur ces mots, nous conte l’histoire,
Il rentra dans sa propre Gloire.
Les saints étaient embarrassés.
Bien des avis furent lancés.
L’un dit : « Eh bien, l’homme et la femme
Pour réaliser le programme
Se frotteront le bout du nez
Jusqu’à ce que l’enfant soit né. »
Et l’autre : « Moi, je leur conseille
De s’entre-souffler dans l’oreille… »
Un troisième : « Ils feraient bien mieux
De se regarder dans les yeux.
C’est, puisqu’il faut qu’on vous l’explique,
Moins fatigant et plus pratique.
Et l’enfant sans plus de retard
Sera conçu de ce regard. »
Parfait ! dirent les vénérables,
Et maintenant passons à table.
Voilà donc assis ces élus
Au nombre d’un millier et plus
Devant une soupe, un vrai baume,
Chef-d’œuvre de Jean Chrysostome,*
Un cuisinier des plus subtils.
Mais, hélas ! à peine eurent-ils
Une cuillère avalée,
Qu’ils dirent : « Elle n’est pas salée ! »
Et voici que notre Vatel
Ayant sa main pleine de sel
La secoua sur chaque assiette,
Mais sans en lâcher une miette.
Les saints goûtèrent de nouveau :
« Pas salée encore ! eh fourneau !
Cette soupe n’est pas mangeable.
La sale, ou bien va-t’en au diable ! »
Alors, lui, laissa cette fois
Le sel glisser entre ses doigts :
« A présent est-elle meilleure ?
- A la bonne heure, à la bonne heure !
- Eh bien, mes amis, dîtes-moi,
Dit le bon cuisinier, pourquoi
Tout à l’heure elle était fadasse,
Bien que sur elle j’agitasse
Ma main toute pleine de sel ?
Hein ? Répondez-moi bien et bel ?
- Parce que, mon vieux Chrysostome,
Tu n’en lâchais pas un atome.
- Et vous voudriez qu’un moutard
Naquit, comme ça, d’un regard !
- Ta bouche est en or, Chrysostome,
Il n’en sort que des axiomes, »
Répondirent les saints confus,
En attendant qu’ils furent bus.
R.P
le Courrier Français - 15 déc. 1901
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