13 sept. 2007

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Adressé à Ponchon
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La fraude, nerf du commerce,
A notre époque s’exerce
Sur les escargots itou :
Ainsi des gens, sans vergogne,
Vont déclarant de « Bourgogne »
Ceux qu’ils cueillent n’ importe où.



Hélas, cher Raoul Ponchon, qui commenciez par ce couplet vos stances escargotières, il y aura bientôt cent ans, que diriez-vous aujourd’hui ? Votre fantôme, que je rencontre errant quelquefois, et se cachant pour pleurer au coin d’une vigne illusoire, votre fantôme, je l’entends encore murmurer sur le ton du plus atroce lamento :


C’est ce qui fait qu’en Bourgogne,
Les Bourguignons sont en rogne,
Mènent un grand branle-bas :
« Les escargots de nos vignes –
Disent-ils – sont les plus dignes,
Les autre n’existent pas. »


Ah, mon brave Ponchon, vieux spectre fraternel, pleurons ensemble, car la science a passé par là, réprimant avec fureur les amours, jadis ô combien légitimes pourtant, de la vigne et de l’escargot.


Il est connu qu’en Bourgogne
ce gastéropode indigne
ne cause aucun branle-bas.
Tout est perdu, c’est la rogne,
la bête à cornes s’esbigne,
l’escargot n’existe pas !


Vous m’entendez, pauvre ami, ma paraphrase est formelle. Les Bourguignons ont depuis belle lurette consommé l’assassinat de l’espèce. Et de même chercheriez-vous en vain, glissant votre suaire entre les échalas, ces lapins et ces perdrix du vieux temps qui vadrouillaient avec les grappilleurs. Et, grattant de vos ongles de squelette l’humus caillouteux, vous désespéreriez de rencontrer deux aimables lombrics occupés tête-bèche, chacun au sortir de sa galerie, à échanger leurs impressions amoureuses. Pas de ça, Lisette ! Nos alchimistes modernes, férus de racisme herbicide, pesticide, fongicide et j’en passe, ont mis bon ordre à la joyeuse et fertile orgie qui régnait à l’ombre de la feuille de vigne.
Que voulez-vous, Ponchon, votre muse au cabaret n’amuse plus personne. Et si jamais, par extraordinaire, elle découvrait entre les ceps un pissenlit, deux asperges sauvages, un brin de sauge ou de persil, et qu’elle imaginât en composer une salade, hélas je ne donnerais pas cher de sa peau. Ce serait une salade assaisonnée de sept fois plus de cadmium et autres métaux lourds qu’il n’ est permis d’en absorber. Ce serait bien fait pour elle, a-t-on idée de croire encore à la loyauté de l’humus ! Il faut être naïf comme vous le fûtes, ô Ponchon, pour chanter avec optimisme les vertus de la science agricole.
Les vignerons d’hier sont devenus les bombardiers d’aujourd’hui, cher Ponchon, il ne nous reste ainsi qu’à parodier l’un de vos contemporains illustres :

La terre est triste, hélas, et j’ai bu tous les cuivres.



Jean-Claude Pirotte
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