6 oct. 2007

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LES APACHES
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Monsieur Lépine et ses agents ont fait
une belle rafle d’Apaches la nuit dernière.
Journaux



Sans être lâche outre mesure,
Les Apaches, je vous assure,
Qui, sous l’œil du gouvernement,
Empoisonnent la Métropole,
Me causent une terreur folle,
Rien que d’y penser seulement.

Les journaux, depuis des années,
Nous racontent leurs randonnées,
Ne sont pleins que de leurs exploits.
Bientôt, de Montmartre à Montrouge,
Paris ne sera plus qu’un bouge,
En dépit des flics et des lois.

Comme j’en parlais à Lépine,
Il me dit : « On me turlupine
Sans répit, avec ces messieurs.
Eh ! que voulez-vous que j’y fasse ?
Je sais fort bien ce qui se passe,
Et vous m’en voyez soucieux.

« Mais ils sont trop à la rescousse.
Plus j’en cueille, et plus il en pousse.
Que si même, je veux nicher
Tous ceux du jour que l’on m’apporte,
Il me faut donc, en quelque sorte,
Ceux de la veille relâcher… »

« S’il en est ainsi, répondis-je,
C’est à vous donner le vertige ;
Mais prenons-en notre parti.
C’est bien ennuyeux, tout de même,
De vivre, en ce siècle vingtième,
Dans une forêt de Bondy.


*
* ...*


" Jadis, j'étais un noctambule.
Je regagnais mon vestibule,
Par les printemps les plus boueux,
Sans craindre qu'on me détériore,
Et je croyais lever l'Aurore,
Car je fus toujours vertueux.

" Aujourd'hui, je me félicite
de l'être encore ; mais j'hésite,
Quand il s'agit, passé minuit,
De flâner dans la Capitale,
Où tant de crapule s'étale,
Avant de gagner mon réduit.

" Tenez ; l'autre jour, ô Lépine !
J'ivresortais d'une popine,
Quand il me vint un fol désir
De négliger mon domicile,
Et de trouver un lieu tranquille,
Où noctambuler à loisir.

" Bientôt, leste comme un gorille,
Je me mis à franchir la grille
Qui clôt le parc du Luxembourg,
Et j'y rêvais de bucoliques
Sous les rayons mélancoliques
de l'astre qu'on voit... de Cherbourg.

"Ayant emporté quelques lignes,
Je pêchais parfois, calme et digne,
Dans la Fontaine Médicis.
Vous savez... celle où Poliphème
Darde son oeil unique et blême
sur Galathée et sur Acis.


" Or, je n'avais rien pris encore,
Qu'un rhume sous un sycomore,
Quand je vis, menant un grand bruit,
Des gens portant des hallebardes,
D'autres des lanternes blafardes...
C'était une ronde de nuit.

" Dès qu'ils me virent dans ma cache,
Ils s'écrièrent : " Un Apache ! "
En me perçant de part en part.
Vous voyez donc bien, mon cher maître,
Que, dans Paris, on ne peut être
En sécurité nulle part. "


RAOUL PONCHON
le Journal
8 mai 1905

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