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Le Vin du Roy
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Le roi d’Angleterre liquide sa cave
C’est le cas de le dire.
(Journaux.)
Comment, mon vieux Gustave,
– Edouard, si tu veux –
Tu « liquides » ta cave,
Et tu n’es pas honteux ?
Une cave, sans doute,
Qui, pour bien des motifs
Renfermait sous ses voûtes
Des vins superlatifs :
De distingués Bourgognes,
Des Bordeaux pleins d’appas
Qui vous feraient ivrognes
Si l’on ne l’était pas.
Des Tokais en délire
– Rares dans mon milieu –
De ces vins qui font dire :
Sapristi ! nom de Dieu !
Enfin des vins de pourpre
Et d’or et de soleil,
(T’auras ta rime à pourpre
Demain, à ton réveil)
Que ta défunte mère
Pendant soixante étés
De son règne éphémère
Avait mis de coté.
Et l’on sait que Sa brave
Et digne Majesté,
En matière de cave
Etait sans parité.
Et toi, d’humeur diverse,
Pour quelques milliers
De francs tu fais commerce
De ces vins familiers !

Et tu donnes, loufoque
De premier numéro,
Le spectacle baroque
D’un empereur bistro.
Vendre son vin ! ô crime !
Horreur ! vendre son vin !
Tu perds dans mon estime.
Mais, quand on a du vin,
Par la Sainte Madone
Et par le Dieu vivant !
On le boit…on le donne,
Jamais on ne le vend.
A moi, l’ami des treilles,
Tu m’en aurais d’abord
Donné quelques bouteilles,
Tu n’en serais pas mort…
De plus, dans ton empire
Aussi vaste que creux
Ce qu’il te manque, sire,
C’est pas les malheureux.
Enfin, c’est ton affaire.
Tu vends ton vin. Voilà.
Tel est ton caractère,
Tu es comme cela.
Mais, dis-moi : je suppose
Qu’en le vendant c’est pour
Acheter autre chose ?
Réponds-moi sans détour.
Quelle est cette autre chose,
Seigneur de Birmingham ?
Comme dit en sa glose
Le sage et doux Khèyam,
Mon poète ordinaire :
« Que peux-tu, homme vain,
« Acheter sur la terre
« De meilleur que le vin ? »
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
30 août 1901
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