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LE BOURGEOIS DE COMPIEGNE
.LE BOURGEOIS DE COMPIEGNE
Une indiscrétion nous permet de donner ici le texte du discours du maire de Compiègne - sauf erreur - à l’occasion de l’arrivée du tsar dans cette ville.
Sire, soyez, et vous, sa digne épouse,
Les bienvenus dans notre humble cité ;
Votre présence, ici, sur nos pelouses,
Nous comblera pendant l’éternité.
Voyez en ces arcs et ces oriflammes
L’expression de nos espoirs vainqueurs ;
Tous ces canons sont les cris de nos âmes,
Et ces drapeaux, des lambeaux de nos cœurs.
Sire, empereur de toutes les Russies,
Veuillez nous être indulgent ; et, si vous
Ne trouvez pas nos fêtes réussies
Et notre accueil brillant, tant pis pour nous.
Que voulez-vous ? Nos ressources sont minces,
Notre budget bien modeste. Après tout,
Vous le savez, si l’on n’est pas des princes,
On peut trouver d’honnêtes gens partout.
Pourtant, elle a, notre petite ville,
Connu jadis des rois, des empereurs
Sauf vot’ respect !… Mais le sort versatile
Ne sait comment, les conduisit ailleurs
Si vous vouliez rester parmi nous, Sire,
Avec Loubet et moi, son serviteur,
Nous en pourrions faire, pour ainsi dire,
Revivre encor le faste et les splendeurs.
Le temps n’est plus de ces luttes baroques
Où l’on put voir dans les champs criméens
Se massacrer nos soldats réciproques,
Dans je ne sais quel but européen ;
L’on vit aussi, l’histoire nous l’assure,
Le Franc Pollux et le Russe Castor
Qui, d’une main, se criblant de blessures,
De l’autre main, se la donnaient encor.
Dernièrement, au sein de la mitraille,
Fraternisaient - tel un bouquet de fleurs -
Nos deux pays sur la Grande Muraille ;
Nos étendards mariaient leurs couleurs.
Pour moi, je vois, de l’aigle bicéphale,
Naître, accouplée avec le coq gaulois,
Un mixte oiseau, pour la paix générale,
Qui va donner à l’Univers des lois.
O vision sublime et franco-russe !
Je vois d’ici, dans un touchant accord,
Russes et Francs échanger de leurs puces ;
J’entends chanter, sur le même air, encor,
Boje tsara krani (1), la Marseillaise…
C’est Peterhof * agréable hypothèse ! -
Ne faisant qu’un avec Montélimar !
La poule au pot avec du caviar !
En attendant que cette ère se lève,
Et que je vois dans un clair avenir,
Permettez-moi de dorloter ce rêve.
Si c’est un rêve, ah ! Laissez-moi dormir !
Encore un mot… Que Votre Grâce daigne
Ajouter à ses titres - ô combien !
Celui plus coût de bourgeois de Compiègne.
C’est quelque chose, avec son air de rien.
Dans cet esprit, Tsar, notre petit père,
Vous reviendrez à Compiègne nous voir.
Vous trouverez le pays plus prospère,
Nous tâcherons à vous mieux recevoir.
Moi, de ce pas, l’âme toute oppressée,
Je m’en vais, tôt, je le dis sans détour,
A mes enfants donner une fessée,
Pour qu’ils n’oublient jamais cet heureux jour !
RAOUL PONCHON
le Journal
16 septembre 1901
Sire, soyez, et vous, sa digne épouse,
Les bienvenus dans notre humble cité ;
Votre présence, ici, sur nos pelouses,
Nous comblera pendant l’éternité.
Voyez en ces arcs et ces oriflammes
L’expression de nos espoirs vainqueurs ;
Tous ces canons sont les cris de nos âmes,
Et ces drapeaux, des lambeaux de nos cœurs.
Sire, empereur de toutes les Russies,
Veuillez nous être indulgent ; et, si vous
Ne trouvez pas nos fêtes réussies
Et notre accueil brillant, tant pis pour nous.
Que voulez-vous ? Nos ressources sont minces,
Notre budget bien modeste. Après tout,
Vous le savez, si l’on n’est pas des princes,
On peut trouver d’honnêtes gens partout.
Pourtant, elle a, notre petite ville,
Connu jadis des rois, des empereurs
Sauf vot’ respect !… Mais le sort versatile
Ne sait comment, les conduisit ailleurs
Si vous vouliez rester parmi nous, Sire,
Avec Loubet et moi, son serviteur,
Nous en pourrions faire, pour ainsi dire,
Revivre encor le faste et les splendeurs.
Le temps n’est plus de ces luttes baroques
Où l’on put voir dans les champs criméens
Se massacrer nos soldats réciproques,
Dans je ne sais quel but européen ;
L’on vit aussi, l’histoire nous l’assure,
Le Franc Pollux et le Russe Castor
Qui, d’une main, se criblant de blessures,
De l’autre main, se la donnaient encor.
Dernièrement, au sein de la mitraille,
Fraternisaient - tel un bouquet de fleurs -
Nos deux pays sur la Grande Muraille ;
Nos étendards mariaient leurs couleurs.
Pour moi, je vois, de l’aigle bicéphale,
Naître, accouplée avec le coq gaulois,
Un mixte oiseau, pour la paix générale,
Qui va donner à l’Univers des lois.
O vision sublime et franco-russe !
Je vois d’ici, dans un touchant accord,
Russes et Francs échanger de leurs puces ;
J’entends chanter, sur le même air, encor,
Boje tsara krani (1), la Marseillaise…
C’est Peterhof * agréable hypothèse ! -
Ne faisant qu’un avec Montélimar !
La poule au pot avec du caviar !
En attendant que cette ère se lève,
Et que je vois dans un clair avenir,
Permettez-moi de dorloter ce rêve.
Si c’est un rêve, ah ! Laissez-moi dormir !
Encore un mot… Que Votre Grâce daigne
Ajouter à ses titres - ô combien !
Celui plus coût de bourgeois de Compiègne.
C’est quelque chose, avec son air de rien.
Dans cet esprit, Tsar, notre petit père,
Vous reviendrez à Compiègne nous voir.
Vous trouverez le pays plus prospère,
Nous tâcherons à vous mieux recevoir.
Moi, de ce pas, l’âme toute oppressée,
Je m’en vais, tôt, je le dis sans détour,
A mes enfants donner une fessée,
Pour qu’ils n’oublient jamais cet heureux jour !
RAOUL PONCHON
le Journal
16 septembre 1901
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(1) Dieu protège le Tsar
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