15 juin 2009

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DREYFUS EST INNOCENT
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M. Scheurer-Kestner se propose de saisir le garde des sceaux de l’affaire Dreyfus. (Journaux)


Monsieur Scheurer-Kestner disait hier au garde *
Des sceaux : « Garde des sceaux,
Je veux bien, entre nous, que le diable me larde
Et me coupe en morceaux,

« Si le nommé Dreyfus n’est pas une victime
Des folles passions
Politiques : telle est, du moins, la plus intime
De mes convictions.

« Demandez à Monod, demandez à Lazare
Et consultez Bernard,
Ils vous diront combien ce jury fut bizarre
De graines d’épinard
(1).


« On peut être bon officier et mauvais juge :
Jadis au régiment
Je fus mis bien souvent dans un petit refuge
Très arbitrairement.


« Et, qui ne sait encor qu’à ces vieilles badernes
On peut monter le coup
Et faire prendre des vessies pour des lanternes
Sans s’efforcer beaucoup.

« C’est-ce que l’on a fait, en le cas, ou, tout comme.
Veut-on considérer
Sur quoi l’on s’est basé pour condamner cet homme ?
Vraiment, c’est à pleurer :

« Sur des comparaisons, sur des analogies,
Des chiffons de papier,
Des documents douteux et des graphologies
Relevant du fripier.


« Ah ! grands dieux ! si l’on fait donner les graphologues,
Nous pouvons aller loin.
Va-t-on pas consulter aussi les astrologues ?
Alors, mangeons du foin.



« Dreyfus aurait, dit-on, avoué ? l’imbécile
On ne peut pas pourtant
Prendre ce qu’il dit pour parole d’Evangile.
Qu’a cela d’important ?

« Il est riche, il avait devant lui, quoi qu’on dit,
Un très bel avenir.
Et s’il est accusé, c’est pure comédie.
Et dans quel but, trahir ?

« Jamais, au grand jamais on ne me fera croire
Qu’il se trouve des gens
Qui trahissent ainsi leur pays pour la gloire !
Surtout, intelligents.

« Je vous dis que j’ai là des papiers plein mes poches
Qui vont établissant
Que Dreyfus est un chef sans peur et sans reproche,
Un officier pur sang.



« Hélas ! Le pauvre diable est à l’île du Diable
Depuis tantôt trois ans.
Souffrant mille morts sous un climat effroyable
Et il est innocent.

« Mais je vous vois venir : pourquoi, m’allez-vous dire,
Si tu pouvais d’un mot
Faire depuis longtemps cesser ce long martyre
N’avoir pas dit ce mot ?

« C’est que je n’avais pas le nom du vrai coupable.
A force de chercher
J’ai trouvé : le bandit, le traître misérable
C’est le môme Vacher. »
*


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
14 novembre 1897

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(1) Officiers supérieurs. (Note pour les gourdes.)

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