.
.
.
Entrée triomphale du Prince Albert 1er
dans sa bonne ville de
MONACO
..
.
Entrée triomphale du Prince Albert 1er
dans sa bonne ville de
MONACO
Tandis que, çà et là, des rois cassent leur pipe,
Encore qu’Espagnols,
Et que des empereurs, martyrs d’un grand principe,
- Tels de vieux rossignols -
S’écoulent peu à peu, d’autres rois, d’autres princes
Par la grâce de Dieu,
Rentrent tranquillement au sein de leurs provinces,
Quand ils en trouvent lieu.
C’est ainsi, que des rois, l’on en rencontre encore
Quand on n’en trouve plus ;
C’est comme les cheveux de cette Léonore
Qui me prit à ses glus.
Donc, l’autre hier, laissant cette vieille Sorbonne,
Je partis illico,
Sachant qu’Albert allait entrer dedans sa bonne
Ville de Monaco.
Et, comme j’eus toujours un faible pour le faste,
Bien m’en a pris, ma foi ;
Car je ne vis jamais de spectacle aussi vaste
Se passer devant moi.
Figurez-vous d’abord un temps calme, superbe ;
Chose… machin… Phébus
Eclatait dans le ciel et retombait en gerbe,
Prodigieux obus !
L’air était amoureux comme une jeune veuve ;
Sans compter, mes enfants,
Qu’on avait mis partout de la poussière neuve,
Des drapeaux triomphants.
Une foule innombrable et que l’attente mine
Etait, quand j’arrivai,
Massée en cet endroit nommé la Condamine,
Si je n’ai pas rêvé.
On sait que Monaco n’est pas grand comme un casque,
Tiendrait dans un corset ;
La foule n’était donc pas toute monégasque,
Non, ce qui la corsait
C’est cette populace incurable et flottante
- Nageante serait mieux -
Qui vient tous les hivers, ici, planter sa tente,
Sous ces salubres cieux :
De princes polonais et de ducs d’Illyrie,
D’illusoires boyards,
De rastas monstrueux qui n’ont pas de patrie,
D’auvergnats savoyards ;
Comtes pas vrais, barons douteux, fausses altesses
Laissant leur brosse à dents
Traîner dans les bidets de toutes les Valtesses ;
De tous les commandants
De table d’hôte et de tous les récidivistes,
De tous les ruffians,
Escarpes, maquilleurs de brèmes et dentistes,
De Schurmanns sans clients ;
De banquiers, de caissiers aux honteuses fringales
Venant d’on ne sait où,
De juifs de tous pays vendant des martingales
A des grecs de partout ;
De notaires, d’huissiers en rupture de malle,
Dont ne veut le trépas ;
C’est là, convenez-en, une flore animale
Comme on n’en rêve pas.
Ajoutez à cela, pour compléter la chose,
Tous les influenzés
Venant de Monaco par caprice ou par
Et tous les névrosés,
.
Et vous aurez idée ainsi de cette foule
Qui réclamait son roi,
Criant, gesticulant comme une femme soûle
Qu’on arrête à l’octroi.
Quand le prince parut, toute l’artillerie
- Joseph, tel est son nom,
Les canonniers n’étant qu’un - mit en batterie
Son unique canon.
Et ce brave Joseph étant en quelque sorte
Son propre commandant
Il se commanda ! feu ! d’une voix assez forte
Et s’obéit - prudent !
Alors se déroula la grande cavalcade.
Le roi monta d’abord
Dans un char tout doré, précédé par l’alcade,
Flanqué d’un piqueur d’or ;
Mais comme celui-ci, malgré son entière
Et bonne volonté,
Ne pouvait à la fois être à chaque portière,
Il changeait de côté
.
Sans cesse, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
Si bien que notre roi
Disait à qui voulait l’entendre, en son délire :
J’ai deux piqueurs, je croi.
Toute sa suite était empilée, entassée
Dans un vieil omnibus ;
Joseph tirait toujours, et la foule empressée
Agitait son gibus.
Le service était fait par les quatre gendarmes
De la Principauté ;
Et quand le roi passait, ils présentaient les armes,
Deux de chaque côté.
Mais comment pouvaient-ils ainsi faire la haie
Tout le long du parcours ?
Ces bougres-là semblaient pousser comme l’ivraie
On en voyait toujours.
C’est qu’ils suivaient au pas la royale voyure
A mesure et au fur,
Si bien qu’ils se trouvaient toujours quatre en bordure :
C’est du dévouement pur.
Dire que l’on passa sous des arcs de triomphe !
Tu penses, Marius !
On eût cru voir entrant dans sa ville de Gomphe
Le grand roi Darius !
Le cortège pourtant gagnait la haute ville,
Avançant lentement,
Et le roi saluait d’une façon civile
Son peuple, à tout moment.
Mais tout ce que j’ai dit n’est que de la gnognotte,
Car un plus bel objet
Approchait et c’était le char de la Cagnotte
Ou plutôt du budget.
Il avait l’air d’être une énorme tirelire,
Longue d’ici demain,
Et je n’ai pas besoin, je pense, de vous dire
Où volontiers ma main
Eût aimé faire même une courte trempette ;
Un terrible croupier
L’escortait à cheval, jouant de la trompette,
Plus un pompier, à pied ;
Cependant qu’on voyait de folâtres pucelles
Aux languissants appas
Jeter des louis d’or sur son passage, qu’elles
Retiraient de leurs bas.
Joseph, pendant un laps, muet comme un bivalve
- Veux-tu ? comme un serpent,
Ça m’est égal - se mit à tirer une salve
D’un coup de canon : pan !
Des pontes ruinés par le trente-et-quarante
Se révolvérisaient
Parfois, rendant la joie encor plus délirante
Par le bruit qu’ils faisaient.
Plus loin venaient des jeux de cartes animées,
Tableau vague et mouvant,
Dont les combinaisons à peine étaient formées
Qu’elles croulaient au vent.
Et toutes étaient là : depuis les tristes bûches
Dix, rois, dames , valets,
Jusqu’aux fiers huit et neuf ; près des cinq pleins d’embûches,
Les as, ces gringalets.
Puis, c’était en dernier, la gueule enfarinée,
O piteux Monaco !
Celui de qui dépend ta maigre destinée :
Le spectre du Banco !
Quand le prince, en tous sens, eut parcouru sa ville,
Le maire diligent
Lui en remit les clés - c’était bien inutile -
Et ce maire affligeant
Pour cette circonstance avait mis sa tenue
Du dimanche, en brocart ;
J’eusse mieux aimé voir sa fille toute nue,
Je vous le dis sans fard.
Que voulez-vous ? la vie est-elle donc parfaite ?
Oh ! que non, oh ! que non !
Et l’excellent Joseph clôtura cette fête
Par un coup de canon…
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
19 janvier 1890
.
.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire