21 juil. 2010

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.LE MUSÉE DES POETES
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Il est question de fonder un « Musée des Poètes ».
(Les Journaux)

Ah ! mon Dieu ! messieurs les poètes,
Jeunes ou vieux, petits et grands,
Depuis quelque temps, que vous êtes
Devenus chez nous encombrants !


Dans les moindres feuilles publiques
Il faut qu’on s’occupe de vous ;
Et l’on vous croirait faméliques,
Et de tous les postes jaloux.

Ne soyez pas insatiables,
O poètes, aimés des dieux,
Sans cela, par les mille diables !
Vous nous deviendrez odieux.


Lorsque vous mouriez sur la paille,
Jadis, vous faisiez moins de « foin ».
Aujourd’hui, vous faites ripaille,
Et vous n’avez pas d’autre soin…



Le sort ne vous est plus rigide
Vous êtes ses enfants gâtés.
L’État vous prend sous son égide,
Et vous comble de ses bontés.


Il vous flanque des bénéfices,
Sinécures, fromages gras…
Où le plus clair de votre office
Consiste à vous croiser les bras.

Tantôt, c’est des bibliothèques
Où vous êtes chauffés, logés,
Ave des traitements d’évêques,
Et de tout impôt soulagés.


Et tantôt, c’est des pris de Rome,
Académiques, Montyon.
Il n’est jusqu’à Sully Prud’homme
Qui ne vous offre un galion.

On vous joue en pleine nature,
En des cirques gallo-romains,
Sur des théâtres de verdure,
Sans escompter les lendemains.



Clarétie ouvre sa grand’porte ,
Dès que vous lui parlez en vers,
Et notre Sarah vous colporte
Aux quatre coins de l’univers.

Enfin, bien loin d’être posthumes,
Vos vers partout glorifiés,
Pour les éditer en volumes,
Fasquelle se traîne à vos pieds.


Une fois morts, on met vos bustes
Dans nos squares et nos jardins,
Bustes nés sous les doigts robustes
De nos Desbois, de nos Rodins.


A chaque instant, on vous décore
Du ruban rouge de l’Honneur.
Qu’est-ce que vous voulez encore ?…
Un musée ? Et pourquoi, Seigneur ?


Vous sombrerez sous la risée.
D’ailleurs puisqu’on est là causant,
Que mettrez-vous dans ce musée,
Afin de le rendre plaisant ?



Vos dictionnaires de rimes ?…
Vos lyres et vos barbitons,
Vos encriers et d’autres frimes,
Vos plumes et vos mirlitons ?…


Et, dans une salle voisine
Sera-ce vos brouillons mort-nés ?
Peu nous importe la cuisine,
Quand les vers sont bien cuisinés !


Y verra-t-on, à la rescousse,
Le sonnet d’Arvers ? Le réchaud
De ce si lamentable Escousse ?…
- Mes enfants, j’en ai déjà chaud !


Ou bien encor la « coupe sainte »
De Mistral ? le vase brisé
De Prud’homme ? un restant d’absinthe
Que Verlaine aura repoussé.

Allez-vous remuer nos fibres
Avec ces « corpus delicti »
L’églantine d’or des félibres,
Ou la rose des Rosati ?…


O poètes, race insensée,
Croyez bien, sans autre examen,
Qu’il n’est pour vous qu’un seul musée,
C’est la mémoire des humains !

RAOUL PONCHON
le Journal
30 juillet 1906
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