18 févr. 2009

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LA GRANDE ROQUETTE
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La Grande-Roquette va être remplacée par un square.
FEUILLES DU JOUR
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Là, jadis, florissait une immense cité
Dite Grande-Roquette,
Plus remarquable encor par son atrocité
Que sa sœur, la cadette ;


Là, se trouvaient parqués, en des compartiments,
Un tas de pauvres diables,
Sortes de détraqués assassins, de déments,
D’êtres associables.

D’aucuns avaient jeté leurs enfants aux pourceaux
Ou dans des eaux courantes ;
D’autres avaient coupé des femmes en morceaux
Pour se faire des rentes ;

Là, furent tour à tour ce Troppmann combatif,
Pranzini dit l’Aimable,
Et Gamahut, cet imparfait du subjonctif,
Et l’adjectif Vodable ;



Eyraud qui, par erreur, un beau jour, avait mis
Gouffé dans une malle :
Un huissier ! Comme si c’était là, mes amis,
Une chose anormale !

Marchandon, Menesolou… que sais-je ? Enfin, des tas
Doux comme la colombe,
Et toi, mystérieux Campi, qui emportas
Ton secret dans la tombe.


C’est là qu’ils attendaient, en proie au hart labour
De multiples manilles
Avec leurs gardiens, le quarantième jour
Permis à leurs guenilles.

Or, quand ce jour venait, le bruit s’en répétait
Aussitôt dans la ville,
Et vers le lieu sacré du supplice montait
La multitude vile ;


Des filles, des badauds, sans nul respect humain,
Partaient en bandes folles,
Et crapuleusement, tout au long du chemin
Chantaient des gaudrioles.

C’était une partie, en somme de plaisir,
- On eût dit - de campagne.
Ils arrivaient trop tôt ; pour tuer ce loisir
Ils sablaient le champagne.

Les bistros regorgeaient d’un monde scandaleux ;
Les toits, et les fenêtres,
Et les murs se louaient à des prix fabuleux,
Il faut le reconnaître.


Un détail qui semblait pour eux en valoir trois,
C’est - pour le sacrifice -
Lorsque Monsieur Deibleir
« échafaudait »
ses bois,
Qu’on nomme : de Justice !


Alors on les voyait se ruer en jappant
Autour de la machine,
Et de façon à n’en perdre rien, se grimpant
L’un l’autre sur l’échine.

- « Tout de même, ça vous fait froid, cet instrument,
Il est ignoble, immonde ;
Mais l’assassin, non plus n’est pas chouette, vraiment ;
Pourquoi tuer le monde ?… »


Enfin, au bout d’un temps très long, au petit jour,
Tintait l’heure suprême,
Et la porte s’ouvrait du funèbre séjour.
Un être vague et blême

En sortait, mort déjà, soutenu sous les bras
Par deux autres crapules ;
Et comme il paraissait faire des embarras
- Pour bien moins on recule -


Ces valets de bourreau le poussaient tout à coup
Jusque dans la lunette,
De façon que Deibler pût lui trancher le cou
D’une section nette.


On entendait bientôt un déclic, un bruit sourd,
Quelque chose d’infâme…
Et nous en voilà débarrassés pour toujours.
Que Dieu prenne son âme !

Et la foule ?… La foule ayant été témoin
Que justice était faite,
Allait se pocharder chez le bistro du coin
Pour terminer la fête.


RAOUL PONCHON
le Journal

29 avril 1901
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