1 févr. 2009

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Journal des Goncourt
(EXTRAITS)

3 janvier.
L’épithète choisie rare
Est la marque de l’écrivain ;
Hors d’elle tout le reste est vain,
Idiot, malpropre, barbare.
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5 janvier.
Ma volonté n’est plus qu’un vieux cheval de fiacre,
De canasson poussif à peine un simulacre ;
Si je veux seulement qu’elle aille au pas ou trotte,
Il faut que je la fouette et lui dise : hu'cocotte

11 février.
Porel me dit que la recette
Avant -hier - de mon Henriette
Maréchal a fait trente francs.
Hier, les chiffres sont plus navrants
Encore, car elle est tombée
A cinquante sous seulement.
Je crois que ma pièce est flambée.
Cinquante sous ! Décidément
Nous vivons en des temps bien tristes.
Ah ! ces cochons de journalistes !

1er mars.
Chincholle ce matin est venu dès l’aurore
Me dire qu’en pays Bosthniaque on m’adore
Et que nul citoyen de ce pays lointain
Qui se pique d’avoir quelque littérature
Ne saurait s’endormir sans faire sa lecture
D’un chapitre de la
Faustin.
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7 mars.
Qui sait si le nommé César
N’aurait pas écrit par hasard
Ses commentaires - régal blême -
Pour la classe de quatrième ?


12 mars.
J’ai dîné chez Magny hier soir, avec… un tel.
Dieu ! Qu’en ce lieu je fus spirituel
Parmi Beuve… Gautier… et d’autres que j’omets !
Mais ce pauvre Renan ne comprenait jamais.

17 mars.
Pour enterrer Hugo vraiment que d’embarras !
On n’en ferait pas plus si c’était le bœuf gras.
Dire qu’il a passé dessous l’arc de triomphe,
(Je chercherai plus tard un mot qui rime en
omphe)
Et qu’on va l’enterrer au sein du Panthéon
Cependant que je suis sifflé dans l’Odéon !

18 mars.
Aujourd’hui je ne sais pour quel motif,
Je n’ai rien écrit de définitif.


27 mars.
Mon ami Joris-Karl Hüymans me certifie
Que c’est dans mon bouquin
Madame Gervaisais
Qu’on apprend la grammaire et la philosophie
Au collège Chaptal. Eh bien, je le pensais.


2 avril.
C’est moi qui découvris le Japon
Et je dis : tarare pompon
A monsieur Guéneau de Mussy
Qui prétend l’avoir découvert aussi.

4 avril.
C’est également moi, de même
Qui, dans ce siècle dix-neuvième
Ait fait jaillir le dix-huitième.

30 avril.
Chez Ledoyen, le jour du saumon sauce verte
Déjeunâmes à sept sous la tente couverte
Les ménages Daudet, Charpentier étaient là,
Avec, bien entendu, le ménage Zola.
Nous eûmes, à nous sept, de l’esprit comme quatre.
Puis voilà qu’au dessert on se mit à débattre
D’un tour à faire ensemble aux pays du Midi.
- « Oui, mais notre Goncourt viendra-t-il - Daudet dit -


Il se meut à peu près tel un sac de semoule,
Il tient à son grenier comme à son roc la moule… »
Il a raison, c’est vrai, je tiens à mon chez moi.
Faut-il aller dehors je suis tout en émoi ;
A plus forte raison s’il s’agit d’un voyage ;
Le moindre effort m’affaisse et me met tout en nage,
Il m’amollit, me ramollit et m’abolit.
Pour un oui pour un non je me mets sur mon lit,
Je rêve, et du logis je laisse errer
la folle
Mais pourquoi tout le jour est-ce que je somnole ?

5 mai.
Daudet m’est venu me voir ce matin. Pauvre diable !
Jamais je ne lui vis un air aussi minable.
Quoique le plus jeune des deux,
Il est certainement bien plus que moi gâteux.


16 mai.
Regardez de belles gravures
En fumant d’excellents cigares
Vaut mieux que de porter des paquets par les gares
En fumant des mégots trouvés dans les ordures.

17 mai.
L’appétit me revient - deux repas avouables
Par jour - avec cela, selles assez louables.


21 mai.
Meilhac et Halévy ces deux grands dramatiques
Des carabiniers connaissent les pratiques :
J’ai remarqué à leur instar,
Qu’ils arrivaient toujours trop tard.


28 mai.
Je compte réunir quelques pages choisies
Du journal que voici - qu’en penses-tu lecteur -
En les intitulant simplement :
Poésies
D’un prosateur.



RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
06 mai 1894

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