7 nov. 2022

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LA GUERRE EN MANCHETTES
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Lassés de littérature 
Comme de tout autre ordure, 
Les directeurs de journaux 
Aujourd’hui ne songent guères 
Qu’à trafiquer sur les guerres 
Aux quatre points cardinaux.
 
Dès qu’une guerre menace 
Quelque part d’un œil tenace 
Ils explorent le terrain 
Supputent les reportages,
 Les colonnes et les pages 
Qu’il leur faudra mettre en train.

Ils trouvent, à l’ordinaire, 
Trop longs les préliminaires : 
Ah ! s’ils avaient le pouvoir 
De la déclarer eux-mêmes ; 
Comme morue en carême, 
Vous verriez les coups pleuvoir ! 

Enfin, elle est déclarée.
 On se bat vers la Corée… 
Très loin?… ça se trouve ainsi. 
O joie ! ô bonheur ! ô veine ! 
Pour leurs lecteurs quelle aubaine, 
Qui vont la suivre d’ici !


On se tue, on s’estropie, 
Cela fait de la copie. 
Ils connaissent les instincts, 
Du public, par le Déluge, 
Ces abstracteurs de grabuge, 
Donc, point de rapports succincts.
 
« Des détails à fendre l’âme 
Que nous envoient de ce drame 
Nos envoyés spéciaux. 
Dans l’horrible jetons l’ancre.
 Soignons nos lecteurs ; que l’encre, 
Comme le sang, coule à « siaux » ! 

« Des massacres, mitraillades, 
De bonnes capilotades ; 
Mettons à feu l’Orient. 
Surtout, point de référence 
Pour l’une ou l’autre puissance. 
On y perdrait des clients. »

Le journal que tu achètes 
Sur la foi de ses « manchettes » 
Doit tenir ce qu’il promet ?… 
Que cela ne t ‘embarrasse : 
Sois tranquille il ne s’en passe 
Le quart de ce qu’il te met.


Il ne s’inquiète guère 
D’en dire plus sur la guerre 
Qu’il n’y en a . 
Quoi ça fait ? 
N’est-il pas - quand l’épisode 
Se fait rare - plus commode 
De l’inventer en effet ? 

Le lendemain, ô merveille !
Ce qu'il t'apprenait la veille
Il va te le démentir;
C'est toujours de la copie
Un bavardage de pie
Qui ne peut se ralentir...

Que dis-je ?
Qui ne doit même pas
Car pour lui, le seul problème 
Est - chaque jour que Dieu fait, 
De te tenir en haleine 
Jusqu’à la guerre prochaine, 
Après la future paix.


Aujourd'hui c'est une ordure 
Que toute littérature 
Pour les marchands de « papiers », 
Mais la guerre !… à la bonne heure 
On y peut faire son beurre 
Et, sans trop s’estropier… 


RAOUL PONCHON 
Le Courrier Français 03 avril 1904 .
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