5 janv. 2009

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IBSEN
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Ibsen n’est plus. Sa mort évoque
En moi cette bizarre époque
- Voilà bien des ans - quelque vingt -
Où celui-ci, comme un messie,
Pour confondre notre hérésie,
Comme jadis Malherbe - vint.

« Enfin, voici donc de la prose
Qui nous vient de ce nord morose
Disait-on - soit quelque beauté. »
Las ! ce n’était pas la lumière
Qui passait ainsi la frontière,
Cette fois, mais l’obscurité.

N’importe ! Ce théâtre sombre
Compris ou pas, par le grand nombre
Fut préconisé sans retard.
D’ailleurs, beaucoup de gens, en France
Se ruent en toute confiance
Sur ce qu’ils comprendront plus tard.

Ceux-là - je parle du vulgaire -
De ceux qui ne comprenaient guère,
Et disaient : « Je n’ai pas compris. »
Etaient renvoyés à leurs douches
Par ces Ibséniens farouches,
Et traités de poissons pourris.

On voyait des puissants esthètes
Des « Art nouveau », de fortes têtes
Qui se découvraient, tout à coup,
Des affinités scandinaves,
Et qui bouillaient comme des laves,
Quand on n’était pas de leur goût.


De tous ces amateurs de brume,
Ce que l’on prenait pour son rhume,
Il fallait voir ça, c’est un rien !
Ibsen, ce fut là son sort pire,
Pour eux l’emportait sur Shakespeare
Qu’ils ignoraient, mais, oh ! combien !

Les classiques, les romantiques
Etaient des préjugés gothiques
Pour ces messieurs - du rococo.
Molière était une guimbarde,
Corneille un fantôme de barde,
Le Père Hugo un vieux coco.


Et puis c’étaient des snobinettes,
De jeunes Botticellinettes.
Elles eurent tôt établi
Que pour bien comprendre le maître
Il fallait, au préalable, être
Coiffée à la Botticelli !


Et toutes ces petites folles
Pataugeaient emmi les symboles,
Comme un bain de clarté.
Et l’on dira que la femme
N’est qu’une toute petite âme !
Possible? Mais quelle santé !…

*
*... *



Cependant, des esprits contraires,
Et, dans un sens, plus téméraires
Traitaient Ibsen de turlupin ;
Disant que son « Canard sauvage »,
Dont on
menait si grand tapage,
N’était, en somme, qu’un lapin.


J’entends encore feu notre oncle,
Exaspéré comme un furoncle,
Notre oncle un peu traînard en Art,
Criant, comme un damné de Dante,
A l’Ibsénité révoltante,
Quand on lui posa ce « canard ».

*
* ...*



Mon Dieu, le tout est de s’entendre.
Ibsen, un génie, à tout prendre,
Est au-dessus de ces débats.
Il nous faut garder ce grand homme
De ceux qui le défient, comme
De ceux qui n’en font qu’un repas.

Quoi qu’il en soit, le vieux burgrave
Brille au firmament scandinave.
Que si nous autres il luit
Comme un soleil, et nous transporte,
Ce ne peut être, en quelque sorte,
Que comme un « Soleil de Minuit ».
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RAOUL PONCHON
le Journal
28 mai 1906
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