3 janv. 2009

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CLEOPÂTRE
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Raoul Ponchon vouait une grande admiration pour Sarah Bernhardt.
octobre 1890 : Sarah incarne le rôle de Cléopâtre dans une pièce de Victorien Sardou.
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L’autre soir je fus au théâtre
Dénommé la Porte-Saint-Mart-
tin, afin d’y voir Cléopâtre,
C’est-à-dire Sarah Bernhardt.

Je m’offris un amphithéâtre
Où j’attendis une heure et quart !
Le rideau ; pour Cléopâtre !…
Et surtout pour Sarah Bernhardt !!…

Enfin la toile opiniâtre
Se lève. Oh ! quel décor flambardt !
- Mais, me dis-je - où donc Cléopâtre ?
Je ne vois que Sarah Bernhardt.

En revanche un César verdâtre
Est là menant un grand chambard,
Réclamant à cor Cléopâtre
Et même à cris Sarah Bernhardt.

Voilà qu’aux sons d’une douceâtre
Musique, apparaît sur un char
Qui est un bateau Cléopâtre
Que suit de près Sarah Bernhardt.


Son teint est-il noir, blond unilâtre ?
Qu’importe ! elle a joint avec art
La nuance de Cléopâtre,
A celle de Sarah Bernhardt.

Quoiqu’il en soit, blonde ou roussâtre,
Marc devient épris sans retard
De la divine Cléopâtre,
Antoine de Sarah Bernhardt.


Il redevient doux comme un pâtre,
Met sa colère au rancart, car
Il n’en voulait qu’à Cléopâtre
Et non pas à Sarah Bernhardt.

Il en tombe même idolâtre
A ce point qu’il suit à Clamart
- Non - en Egypte, Cléopâtre,
Je veux dire Sarah Bernhardt.


Là, dans les passe-temps folâtres
- Pêche à la ligne, amour, billard -
Marc vivait avec Cléopâtre,
Antoine avec Sarah Bernhardt.


Quand un beau matin trois galfâtres,
Raseurs s’il en fut quelque part
Vous arrivent chez Cléopâtre,
Abandonne Sarah Bernhardt.


Ta vie est lâche, ô gastrolâtre
Disent-ils au triumvirard,
Laisse-là cette Cléopâtre
Abandonne Sarah Bernhardt.


Viens combattre avec nous, combâtre
Si tu préfères, vieux pochard.
Ils ont raison, dit Cléopâtre ;
Pars, ajoute Sarah Bernhardt.


- C’est bien, quittons ce sein d’albâtre
Alors et filons comme un dard, -
Qu ‘Antoine dit à Cléopâtre,
En embrassant Sarah Bernhardt.


Toi, file aussi, mais, près de l’âtre ;
Je ne reviendrai pas bien tard :
Espère-moi, ma Cléopâtre,
Sois sage, ma Sarah Bernhardt.



Ah ! le bon billet qu’à La Châtre !
Pendant au moins une heure et quart
D’entr’acte espéra Cléopâtre,
Et deux heures Sarah Bernhardt,


Filant ou lisant Malfilâtre
- Passe-temps à coup sûr faiblard
Quand on s’appelle Cléopâtre,
Qu’on se nomme Sarah Bernhardt.


D’autant que ce Malfilâtre
Devait naître beaucoup plus tard,
Après la mort de Cléopâtre,
Au siècle de Sarah bernhardt.


Hélas ! ô fortune marâtre
Ne verrai-je plus mon César ?
Ainsi plangore Cléopâtre
Sur le sort de Sarah Bernhardt.


Quand - ô prodige Sardouâtre !
Un facteur rural, par hasard,
Apporte un mot à Cléopâtre,
Que déchiffre Sarah Bernhardt.



Elle pâlit comme du plâtre :
- Il est marié ! Le cornard !
Dit-elle. Pauvre Cléopâtre,
Réveille-toi Sarah Bernhardt.


Qu’on arme aussitôt ma galâtre (1)
Pour courir après le fuyard
Et lui montrer que Cléopâtre
Se nomme aussi Sarah Bernhardt.


Elle arrive donc au théâtre
Après un entr’acte longuard !
- Les entr’actes, dans Cléopâtre,
Sont tout, après Sarah Bernhardt. -


Avec sa femme Octaviâtre
Elle retrouve son paillard.
- A nous deux, lui dit Cléopâtre,
A nous trois, dit Sarah Bernhardt.

Quoi ! Cette vieille acariâtre
C’est ta femme ? Nom d’un pétard !
Elle ne vaut pas Cléopâtre,
Encore moins Sarah Bernhardt -


Seigneur, vite une rime en âtre !
- Merci. Que fait notre César ?
Oh ! Lui ? dès qu’il voit Cléopâtre,
Qu’il entrevoit Sarah Bernhardt,


Il tombe à leurs pieds comme un plâtre,
A peu près vers minuit un quart,
Et suit de nouveau Cléopâtre
Et derechef Sarah Bernhardt
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En des re-passe-temps folâtres
- Poker, amour, tabac, billard -
Il revit avec Cléopâtre
De beaux jours chez Sarah Bernhardt.


Mais voici que l’âge le châtre,
Malgré l’élixir Brown-Séquard,
Bientôt il meurt sur Cléopâtre.
Alors que fait Sarah Bernhardt ?

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Elle prend un aspic verdâtre
A s’pique avec et meurt… très tard.
Voilà comment « Cléopâtre »
Finit. Vive Sarah Bernhardt.
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RAOUL PONCHON
le Courrier français
02 nov. 1890
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(1) sorte de vaisseau qui n'a jamais existé.
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