27 déc. 2008

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Barbier, Shakespeare et Cie
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« … Quant à la musique, on peut dire que ni Gounod ni Thomas n’ont été au-dessous de leurs modèles ; Ils ont employé leur propre génie à populariser celui de Gœthe et de Shakespeare et… ce sont encore ces grands hommes qui restent leurs débiteurs. » (P.J. BARBIER)


« Quel est l’hurluberlu, l’âne
Qui a dit que je profane
- Vrai dernier des scélérats -
Les chefs d’oeuvre de Shakespeare
Et de Goethe d’où je tire
De bons livrets d’opéras.

« Ah ! la bonne balançoire !
Non vraiment c’est dérisoire.
Que je profane !… Allons donc :
Quelle est cette idée absurde ?
Elle doit venir d’un Kurde
Ou d’un perfide à London.

« On sait que ces grands poètes,
Les
Shakspeares, les Goèthes
Ont semé dans leurs écrits
Mille et une turpitudes
Qui navrent les âmes prudes
Ainsi que les beaux esprits.

« Est-ce profaner ces maîtres,
Les diminuer d’un mètre
Que de sortir de la nuit
Et décrasser leurs poèmes
Fuligineux et qu’eux-mêmes
Regretteraient aujourd’hui ?


« Je ne crois pas. Au contraire
Je sais ce qu’il faut extraire
D’un Faust comme d’un roi Lear ;
Et, par Vénus Choliade !
Si j’opérais l’Iliade
Ce serait pour l’embellir !

« J’adoucis leurs sombres drames
Qui feraient peur à ces dames
Si l’on les jouait tels quels
Et du temps je les préserve
Grâce aux trésors de ma verve
Qui prévaut sur les nickels.

« Mais sans moi ce Faust immonde
N’aurait jamais dans le monde
Pu seulement faire un pas.
Or, voilà : je l’édulcore
Et je lui fous encore
La grâce qu’il n’avait pas.

« La demoiselle Ophélie
N’est pas gaie à la folie,
Hamlet non plus, savez-vous ?
Je leur mets une perruque,
Un faux nez, quoi… je les truque,
Les voilà joyeux et fous.



« C’est comme ces trois sorcières,
Ces trois vieilles cuisinières
Qu’on rencontre dans Macbeth.
Sont-elles laides, les rosses !
On prendrait bien trois carosses
Pour les fuir jusqu’au Thibet.

« Eh bien, je les peigne, frise
Et je les poudrederize,
Je leur flanque un bon shampoing,
J’en fais trois beautés certaines,
Oui, trois princesses lointaines
D’un agréable embonpoint.


« De même, je déshirsute
Cette déplorable brute
Caliban, un vrai maboul ;
Je le rase, débarbouille,
Je lui coupe aussi les douilles
Et le coiffe à la Capoul…


« Je possède en ma boutique
Les fleurs de la cosmétique,
Les élixirs du Congo ;
Et je pourrais sur un signe
Rendre aussi blanc comme un signe
Ce moricaud d’Othello.



« J’ai des postiches : d’Antoine
Je peux très bien faire un moine,
De Cléopâtre un pompier…
Des perruques, blondes, brunes…
Ah ! ca n’est pas pour des prunes
Que je m’appelle Barbier.


« Si j’ajoute la musique
Merveilleuse et sans réplique
Des Thomas et des Gounod
Qui fait que les Juliettes
Et Mignons en ariettes
Traînent sur des pianos,


« Shakespeare et autres grands hommes
Nous doivent de fortes sommes
Comme collaborateurs
Et je suis tout prêt à croire
C’est que s’ils ont quelque gloire
Nous en sommes les auteurs. »


Pour copie conforme

RAOUL PONCHON
le Courrier français
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