4 oct. 2008

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BOURGET, TAILLEUR POUR DAMES
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En son psychologeoir hivernal de Palerme,
Psychologue Bourget,
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- Un de ces romanciers qu’à peine ouvert je ferme -
Songeait et trésongeait.

Psychologiquement penché sur deux volumes
Qu’il psychole à la fois
Des deux mains ; il était inquiet, ses deux plumes
Tremblaient à ses dix doigts.

Et ce psychologique auteur qui tant émine
Quant au nommé roman,
Et qui en l’art de la toilette féminine
Compète absolument ;

Ce rival de Brummel, dont la mode française *
Accepte les arrêts
Sans plus les discuter que dans une fournaise
Discute un beurre frais ;

Ce dandy qui s’habille à Londres qui l’étrique,
Et se chausse à Moscou
Qui fait empeser ses faux-cols en Amérique
Qui lui rongent le cou ;


Ce filleul de d’Orsay, cousin de Blondetierre,
Ce massacreur de cœurs
Auprès de qui Don Juan n’était qu’une rosière,
Ce tombeur de vainqueurs

Dont le nom est toujours synonyme de vogue
Et de génie aussi,
Pour tout dire en un mot enfin, ce psychologue
Psychologuait ainsi :

« Sombre perplexité ! Trois fois cruelle énigme !
Dans mon prochain roman
Comment vais-je habiller madame de Sainte-Ygme
Ou de Castel… Comment ?

« Elles se fourniront chez quelles couturières ?
Ou chez quels couturiers ?
Je balance entre leurs créations dernières,
Leurs chefs-d’œuvre derniers.

« D’un manteau de chez Worth la grâce est souveraine *
Et donne tout d’abord
A celle qui le porte une allure de reine
Et de déesse un port :

« Vais-je vêtir chez lui madame de Moraines,
Seigneur, Dieu des Élus ?
Moi, l’arbitre du goût de mes contemporaines,
J’hésite et ne sais plus.


« De l’illustre Doucet la science est notoire :
Elle ira chez Doucet ;
Mais Margaine est aussi célèbre dans l’histoire
Que la bière Pousset.

« On ignore lequel a le plus de mérite
Glapissait Bourgeohnet,
L’un saurait corseter une sombre guérite
Et l’autre, Georgeohnet…

« Mettons qu’elle ait enfin son tailleur… où prend-elle
Ses chapeaux et ses bas ?
Nouvelle question ! En ma pauvre cervelle
S’agitent quels combats !…

« D’aucuns vont me disant : Tout cela, c’est des drogues
Chez un bon écrivain.
- Allons donc ! Je t’en fous, pour les bons psychologues
Aucun détail n’est vain.

« Seigneur ! oh, que je suis perplexe, oh ! qu’oui perplexe !
Un méchant corset noir
Naguère m’attira les foudres du beau sexe :
Je voudrais vous y voir ! »

Ainsi psychologue le maître dans Palerme,
Sa tête dans sa main,
Plus triste que l’on est à la veille d’un terme,
Voire, le lendemain.


Où va-t-il habiller ses pâles héroïnes ?
Qui le saura jamais ?
De la France telle est, et des cités voisines
L’inquiétude : mais

Moi qui veux relever l’honneur du reportage
Je sais ci, Dieu merça !
2
Sachez qu’il les habillera, pour tout potage,
Au décrochez-moi ça.


RAOUL PONCHON
1890

1 Cette pièce porte en note, sous le second vers : « On ignore généralement qu’un des petits noms de Bourget est Psychologue. Il s’appelle en réalité Paul-Psychologue Bourget, comme d’autres s’appellent Jean-Baptiste. » Sans en conclure que Ponchon connaissait l’acte de naissance de Bourget par cœur, je dois dire qu’au début de sa carrière, et alors qu’il n’avait encore écrit que des vers, c’est-à-dire en 1882, Bourget fut très lié avec Richepin et Bouchor, par conséquent avec Ponchon. On connaît une bonne photographie de leur quatuor daté de 1874.

2 Licence poétique (note de l’auteur).

000

F. Fougère, J. Richepin, R. Ponchon, P. Bourget
Sapeck
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