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PEAU-DE-BALLE
.PEAU-DE-BALLE
A Maurice Rollinat
Etre sépulcral, fantomal,
Brucolaquiforme, anormal,
Il est, avec ça, l’animal,
La grâce même ;
Et tenez, je m’en vais tenter,
Messieurs, de vous le présenter :
Ah bien, vous pouvez vous vanter
Que je vous aime.
Peau-de-balle ! tel est son nom ;
Il aurait bien pu, pourquoi non ?
Prendre celui d’Agamemnon,
Mais il préfère
Peau-de-balle. C’est plus léger,
C’est doux comme du blanc-manger,
Et pourquoi donc faire en changer
Pourquoi donc faire ?
Il est né d’un excès de rien,
D’un manque de tout ; aussi bien
Il n’est pas plus juif que chrétien,
N’étant personne,
Bien qu’il fasse beaucoup de bruit ;
On veut croire que dans la nuit,
Son père quand il l’a construit
A fait mal-donne.
Il n’est personne, il est oiseau
Cependant ; montagne et ruisseau,
Géant, fleur, poisson, vermisseau,
Anthropophage :
Il est tout. Pour qui s’y connaît
Il a comme un faux air d’Onnait
Et de Vénus ; et, bien qu’il n’ait
Pas de visage,
Il s’y trouve un chose au milieu,
Est-ce un nez ? Parbleu, j’en suis bleu :
Ça m’a l’air d’un nez, nom de Dieu,
Ou je me trompe ;
Mais comme a dit Bouchor un jour
C’est peut-être un peu trop long pour
Un nez, et ce serait trop court
Pour une trompe.
Ce fils de carpe et de lapin
Est bien plus noir, par saint Crépin !
Que les machines à Taupin.
Et, sortilège !
Il est pourtant plein de neigeur ;
C’est une fugue en blanc majeur,
On ne trouve blanc plus rageur
Qu’en la Norvège.
Il palpe sans doigts, voit sans yeux ;
Sans pieds il n’en marche que mieux,
Il est chauve avec ses cheveux,
Il vole, il nage,
Il eut jadis mille accidents.
C’est ainsi qu’il n’a plus de dents
Et que sa voix fut prise dans
Un engrenage.
Il n’a pas de dimension,
Pas d’âge, pas de passion,
Rien : malgré que sa fonction
Soit d’être énorme
Et vibrionesque à la fois,
D’être Belge ensemble et Chinois
Et de s’exprimer d’une voix
Cunéiforme.
Quoique plus vite que le vent
Il se tient coi le plus souvent,
Comme ça qui n’est plus vivant
Ou pas encore.
Il chante, croasse, barrit,
Gringotte , caracoule, rit,
Vrombit, siffle, ulule, mintrit,
Gueule, plangore,
Glousse, brame, jappe, rugit,
Bégète, brait, chuinte, mugit,
Caccabe, quirite , vagit,
Hurle, fringule,
Trinsotte, glottore, crie, huit,
Pupule, plau sonne, pipuit,
Rossignole pendant la nuit
Ou zinzilule.
Même, en bien moins de temps, s’il veut,
Qu’il n’en faut pour le dire, il peut
Devenir son propre neveu,
Ou la grande Ourse ;
Se faire ténor, alguazil,
Marchand de dattes, rat du Nil,
Empereur, pétasse, tant il
A de ressource.
Et, Messieurs, pour lui c’est un jeu
De se fondre dans le ciel bleu,
De ne se nourrir que de feu,
De fumer même
Le Vésuve par le gros bout,
De lire les romans d’About,
D’écouter à dormir debout
Un long poème.
C’est formidablement dément.
Comment diable, veux-tu, comment
Résoudre à peu près congrûment
Un tel problème ?
Ma foi, je n’en sais rien? - Garçon,
Donnez-moi toujours un Picon ;
Non, en vérité, je n’y com-
prends rien moi-même.
Il existe sans le savoir,
Il est puissant sans rien pouvoir ;
Vous pouvez le voir sans le voir ;
Sans le connaître,
L’aimer ou bien le délester ;
Il a l’air de se bien porter :
Pas du tout. C’est à jeter
Par la fenêtre.
Demain pour lui c’est aujourd’ hui ;
A peine est-il là qu’il a fui :
Vous n’apercevez rien ? C’est lui,
Ou bien son frère ;
Et pourtant il n’a qu’une sœur.
Ah ! ah ! vous être un farceur ;
M’allez-vous dire ? Moi, Seigneur,
Bien au contraire.
Lorsque l’on ne s’y attend pas,
Peau-de-balle, à très menus pas
S’amène comme le trépas,
Et de son souffle
Il change le mage en crétin,
Fait que le soir est le matin :
Il détruit tout, comme on éteint
Une camoufle.
Cependant tout, à qui mieux mieux,
Quand est parti ce furieux,
Redevient calme sous les cieux,
Dans la nature ;
Tandis qu’il va nonchalamment
Chez le marchand de vin charmant,
Se flanquer outrageusement une biture.
C’est lui qui porte, solennel,
La gamelle du colonel :
Ça t’embête, sempiternel
Sarcey Francisque ;
C’est lui qui fait tenir entier
Un litre en un demi-setier ;
Et c’est encor lui le portier
De l’Obélisque !
Il est-ce que dure un melon,
Ce que l’on dit dans un salon,
Celui qui trouve le temps long
Dans une armoire.
Il est le reflet du satin
Et le serment d’une catin,
« Un petit banc, un strapontin, »
Il est la gloire.
Vous me dites : « En vérité,
Monsieur, où la nécessité
Que ce monstre d’absurdité
Naisse ou demeure ?
Nous voudrions bien le savoir. »
- Ah, bien ! s’ils viennent va-t-en voir ;
Vous repasserez demain soir,
A la même heure.
Vous saurez donc qu’il n’y avait
Qu’une vieille qui le savait
Et qui seule au monde pouvait
Vous en instruire,
Elle avait près de deux cents ans
Et malgré des amis pressants
La vieille folle est morte sans
Vouloir le dire.
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
22 janv. 1888
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Etre sépulcral, fantomal,
Brucolaquiforme, anormal,
Il est, avec ça, l’animal,
La grâce même ;
Et tenez, je m’en vais tenter,
Messieurs, de vous le présenter :
Ah bien, vous pouvez vous vanter
Que je vous aime.
Peau-de-balle ! tel est son nom ;
Il aurait bien pu, pourquoi non ?
Prendre celui d’Agamemnon,
Mais il préfère
Peau-de-balle. C’est plus léger,
C’est doux comme du blanc-manger,
Et pourquoi donc faire en changer
Pourquoi donc faire ?
Il est né d’un excès de rien,
D’un manque de tout ; aussi bien
Il n’est pas plus juif que chrétien,
N’étant personne,
Bien qu’il fasse beaucoup de bruit ;
On veut croire que dans la nuit,
Son père quand il l’a construit
A fait mal-donne.
Il n’est personne, il est oiseau
Cependant ; montagne et ruisseau,
Géant, fleur, poisson, vermisseau,
Anthropophage :
Il est tout. Pour qui s’y connaît
Il a comme un faux air d’Onnait
Et de Vénus ; et, bien qu’il n’ait
Pas de visage,
Il s’y trouve un chose au milieu,
Est-ce un nez ? Parbleu, j’en suis bleu :
Ça m’a l’air d’un nez, nom de Dieu,
Ou je me trompe ;
Mais comme a dit Bouchor un jour
C’est peut-être un peu trop long pour
Un nez, et ce serait trop court
Pour une trompe.
Ce fils de carpe et de lapin
Est bien plus noir, par saint Crépin !
Que les machines à Taupin.
Et, sortilège !
Il est pourtant plein de neigeur ;
C’est une fugue en blanc majeur,
On ne trouve blanc plus rageur
Qu’en la Norvège.
Il palpe sans doigts, voit sans yeux ;
Sans pieds il n’en marche que mieux,
Il est chauve avec ses cheveux,
Il vole, il nage,
Il eut jadis mille accidents.
C’est ainsi qu’il n’a plus de dents
Et que sa voix fut prise dans
Un engrenage.
Il n’a pas de dimension,
Pas d’âge, pas de passion,
Rien : malgré que sa fonction
Soit d’être énorme
Et vibrionesque à la fois,
D’être Belge ensemble et Chinois
Et de s’exprimer d’une voix
Cunéiforme.
Quoique plus vite que le vent
Il se tient coi le plus souvent,
Comme ça qui n’est plus vivant
Ou pas encore.
Il chante, croasse, barrit,
Gringotte , caracoule, rit,
Vrombit, siffle, ulule, mintrit,
Gueule, plangore,
Glousse, brame, jappe, rugit,
Bégète, brait, chuinte, mugit,
Caccabe, quirite , vagit,
Hurle, fringule,
Trinsotte, glottore, crie, huit,
Pupule, plau sonne, pipuit,
Rossignole pendant la nuit
Ou zinzilule.
Même, en bien moins de temps, s’il veut,
Qu’il n’en faut pour le dire, il peut
Devenir son propre neveu,
Ou la grande Ourse ;
Se faire ténor, alguazil,
Marchand de dattes, rat du Nil,
Empereur, pétasse, tant il
A de ressource.
Et, Messieurs, pour lui c’est un jeu
De se fondre dans le ciel bleu,
De ne se nourrir que de feu,
De fumer même
Le Vésuve par le gros bout,
De lire les romans d’About,
D’écouter à dormir debout
Un long poème.
C’est formidablement dément.
Comment diable, veux-tu, comment
Résoudre à peu près congrûment
Un tel problème ?
Ma foi, je n’en sais rien? - Garçon,
Donnez-moi toujours un Picon ;
Non, en vérité, je n’y com-
prends rien moi-même.
Il existe sans le savoir,
Il est puissant sans rien pouvoir ;
Vous pouvez le voir sans le voir ;
Sans le connaître,
L’aimer ou bien le délester ;
Il a l’air de se bien porter :
Pas du tout. C’est à jeter
Par la fenêtre.
Demain pour lui c’est aujourd’ hui ;
A peine est-il là qu’il a fui :
Vous n’apercevez rien ? C’est lui,
Ou bien son frère ;
Et pourtant il n’a qu’une sœur.
Ah ! ah ! vous être un farceur ;
M’allez-vous dire ? Moi, Seigneur,
Bien au contraire.
Lorsque l’on ne s’y attend pas,
Peau-de-balle, à très menus pas
S’amène comme le trépas,
Et de son souffle
Il change le mage en crétin,
Fait que le soir est le matin :
Il détruit tout, comme on éteint
Une camoufle.
Cependant tout, à qui mieux mieux,
Quand est parti ce furieux,
Redevient calme sous les cieux,
Dans la nature ;
Tandis qu’il va nonchalamment
Chez le marchand de vin charmant,
Se flanquer outrageusement une biture.
C’est lui qui porte, solennel,
La gamelle du colonel :
Ça t’embête, sempiternel
Sarcey Francisque ;
C’est lui qui fait tenir entier
Un litre en un demi-setier ;
Et c’est encor lui le portier
De l’Obélisque !
Il est-ce que dure un melon,
Ce que l’on dit dans un salon,
Celui qui trouve le temps long
Dans une armoire.
Il est le reflet du satin
Et le serment d’une catin,
« Un petit banc, un strapontin, »
Il est la gloire.
Vous me dites : « En vérité,
Monsieur, où la nécessité
Que ce monstre d’absurdité
Naisse ou demeure ?
Nous voudrions bien le savoir. »
- Ah, bien ! s’ils viennent va-t-en voir ;
Vous repasserez demain soir,
A la même heure.
Vous saurez donc qu’il n’y avait
Qu’une vieille qui le savait
Et qui seule au monde pouvait
Vous en instruire,
Elle avait près de deux cents ans
Et malgré des amis pressants
La vieille folle est morte sans
Vouloir le dire.
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
22 janv. 1888
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