5 sept. 2008

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LA FOIRE AU PAIN D'EPICES
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Merveilleux témoignage des grandes fêtes populaires d'antan (un peu Foire du Trône ) non épargnées par Ponchon. lisez plutôt...
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C’est là-bas, là-bas, dans un coin
De Paris, même encor plus loin,
Ça vous étonne ? -
Cela tient presque le milieu
Entre le tonnerre de Dieu
Et la Sorbonne.

Mais si vous vendez, de ce pas
J’y vais, donnez-moi votre bras,
Suivons la foule ;
Ce sera, certes, le plat court.
La voyez-vous comme elle court,
Comme elle coule.

Nous avons déjà fait, mâtin !
Du chemin depuis ce matin,
C’est dur sans boire.
Jamais la foire n’est donc là ?
Si, je crois que nous y voilà :
C’est ça la foire !

Entendez-vous ce bruit d’enfer,
Vous pensez que c’est du Wagner,
Moi j’imagine
Que ce sont des chats pas contents
Cassant et chambardant tout dans
Une cuisine.

Non, nous nous trompons tous les deux.
C’est ici cet endroit hideux
Où l’on s’amuse ;
Je m’en vais vous initier
A ce spectacle de portier,
A moi, ma muse !
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Tout est ici gueulard, hurlard,
Tout fiche un croc-en-jambe à l’art,
A la nature ;
Les sens y sont estropiés :
Il y règne une odeur de pieds
Et de friture.

Et ce sont des charivaris
A vous faire pousser des cris
Par les oreilles,
Et des oripeaux furieux
Qui rendent aussi sourds vos yeux
Que des bouteilles.

Ici se trouvent par ballots
Vingt ou trente mille kilos
De phénomènes ;
Géants et nabots mal vêlés,
Hydrocéphales, toutes les
Hideurs humaines ;

Jeunes personnes de quinze ans
Qui pèsent dans les quatre cents,
Molles et flasques,
Roses comme un jambon pas frais,
Avec la dégaine à peu près
Qu’ont les Tarasques.


Tout ce qu’il y a sous les cieux
D’anormal, de disgracieux :
Enfants-torpilles,
Hommes-chiens et femmes-poissons,
Des filles qui sont des garçons,
Des garçons-filles.

On sait que le Parisien
Aime le laid, le prussien,
L’abominable,
Toutes les monstruosités.
Que, son goût pour les saletés
Est impeccable.

Aussi dans les panoramas
Ou bien dans les dioramas
Pour dix centimes
Tu peux te payer des horreurs,
Des assassins, des empereurs,
Des tas de crimes ;


On peut voir en d’autres ramas
Un bon quarteron de Fatmas,
De faux hercules,
D’affreux bamboulas du Congo
Venant d’Asnières tout de go,
Des somnambules ;

Plus loin, un spectacle charmant
Offert aux hommes seulement ;
Je me dis : Diantre !
Pour que les femmes n’entrent pas
Ce doit être assez… dans ce cas
Entrons, et j’entre.



J’entre dans un petit salon
Où j’aperçois comme un ballon :
C’est une dame
Qui n’a rien de particulier,
Quoi qu’en dise son chamelier
Dans sa réclame.

J’ai vu de ces chameaux, je crois,
Jusques à quatre en cinq cents fois
Sous différentes
Appellations. De côté
Si j’avais ce qu’ils m’ont coûté
J’aurais des rentes !


Misérable peuple français,
O vous qui rimez à succès,
Comme on vous trompe.
Vous serez toujours un enfant.
On vous mène, jeune éléphant,
Par votre trompe.

Vous voulez peut-être à présent
Un spectacle aimable et plaisant,
Où vous instruire ?
Vous n’avez pas le goût mauvais :
Castigat ritendo… je vais
Vous y conduire.


Cela se dit panopticum,
Dites plutôt salopticum.
On y expose
Des pourritures d’hôpital.
- C’est comme un rêve oriental
Bleu, vert et rose ; -


Puis des choses dans des bocaux ;
Des fœtus comme des cocos ;
Des maladies
A faire vomir, je vous dis,
Leurs entrailles aux plus hardis,
Aux plus hardies.


D’autre part, croyez-vous aux tirs,
Aux tourniquets, pauvres martyrs,
Faire fortune ?
Vous êtes un peu conassons
Ou tout au moins de bons garçons
Comme la lune.

Car à gagner ces bibelots
Qui valent tous beaucoup de lots
Pas un ne songe ;
Chers lecteurs, je vous le promets :
Les lots ne se gagnent jamais,
Pas même en songe.

En tenez-vous pour ces bazars
Qui se dénomment les instars
Des grands théâtres
Avec du cuivre et du tambour
N’allez pas croire qu’ils soient pour
Cela folâtres ;

J’en excepte pourtant Corvi ;
Un cirque m’a toujours ravi ;
Mais Cocherie
Ne met plus rien dans ses maillots ;
Quels sont ces mollets parpaillots,
Vierge Marie !



Tout s’en va. Les chevaux de bois,
S’ils sont aussi beaux qu’autrefois,
Qu’on me fusille !
Ils sont pires, Dieu m’est témoin !
On leur donne aujourd ‘ hui du foin,
On les étrille !

Tout meurt. Par le muscle alléchés
Vous voyez, si vous allez chez
Le vieux Marseille
Des luttes à dormir debout :
Vraiment, le bougre nous la fout
Trop à l’oseille.


Il nous reste à voir les dompteurs ?
Ils nous font passer des sueurs
Le long du râble ;
Moi j’en ai déjà le vezon :
Voici précisément Pezon
L’Incomparable.

Bah ! ses lions pleins de douceur
Lécheraient la gueule à ma sœur !
- Commerce unique. -
Ils n’ont plus rien de l’étalon,
Pas même la fureur que l’on
Dit teutonique !



Cherchons des endroits plus coquets,
Je veux dire des mastroquets :
Ici, pardine
Le four est encor plus complet,
Ce qu’on y boit me singule et
M’extraordine !

Du vin nul comme du delpit,
Du cidre qui sent le pipi,
Et de l’absinthe
Faite avec du linge moisi -
Si j’ose m’exprimer ainsi
Dans cette enceinte. -


Fuyons, mais pas par ici, car
Nous serions tôt entrepris par
Un photographe ;
Hélas ! Vous m’en verriez navré ;
C’est cela que j’appellerai
Faire une gaffe ;

O Soleil ! Orgueil du ciel bleu,
Vous pourriez être - soyez-le -
Beau comme un astre,
Ce commerçant vous méconnaît,
Il vous fait la tête d’Ohnet,
C’est le désastre !


Nous avons selon nos désirs
Vidé la coupe de plaisirs
Jusqu’à la lie.
Filons, d’autant plus, cher voisin,
Que m’attend - avec son cousin -
Mon Eulalie ;


Mais avant de partir d’ici
Emportons ce symbole-ci
Pour nos lectrices :
C’est, la queue en l’air, folichon
Un amour de petit cochon
En pain d’épices.



RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
15 avril 1888

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