7 juil. 2008

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COURAGE FISCAL
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J’en appelle au courage fiscal.
Charles Dumont



Tu veux rire, mon vieux Charles.
Courage fiscal ! tu parles !
Mince de fiscalité !
C’est un plaisant euphémisme
Si ce n’est pas du cynisme
De première qualité.

Accepter avec courage
Cet odieux pressurage
Ne me semble pas urgent.
Mais une chose m’étonne,
C’est que plus l’on vous en donne
Et moins vous avez d’argent.

*
* ...*


Entre les doigts de nos sires,
Nos biens fondent comme cires,
S’évaporent, volatils ;
A quelles sombres orgies,
Quelles anthropophagies
L’emploient-ils ? bref, que font-ils ?

Encore si ce collectes
Indirectes ou directes
N’inquiétaient que les gens
Qui peuvent y faire face
Sans tomber dans la mélasse,
Et non plus les indigents…


Mais c’est bien tout le contraire ;
Et tel gros propriétaire
N’a pas à s’en effrayer,
Ce n’est jamais lui qui trinque :
Dans l’instant il se requinque
En augmentant son loyer.

Ainsi donc le pauvre diable
Par le fisc insatiable
Chaque matin égorgé,
Devant même qu’il se chausse,
Se demande à quelle sauce,
Le soir, il sera mangé.

Le beau pays de Cocagne
Que voilà ! Que si je gagne
Deux sous l’État m’en prend un ;
Et mon courage civique,
Mon zèle patriotique
Doit l’estimer opportun !

Je m’imagine un apache
Qui, me navrant d’une eustache,
Me dit d’un air jovial :
« Allons ! passe-moi ta montre,
Ce faisant, tu feras montre
D’un courage… fiscal. »


Une pauvre loque humaine
Qu’à la guillotine on mène
N’y va que d’un pas discret.
Et c’est bien la même chose
Pour celui qu’on impose :
Il ne marche qu’à regret.

Et donc, avoir le sourire
Quand tu prends ma tirelire,
O Dumont ! en vérité,
Serait vertu d’un autre âge,
Non pas, même du courage,
Mais de la témérité.



RAOUL PONCHON
Le Journal
17 nov. 1913

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