7 juil. 2008

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CUISINE FUTURISTE
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Un cuisinier, X… rêve d’une cuisine futuriste.
(Journaux)


Brave cuisinier futuriste,
Nous prends-tu pour des abrutis ?
Tu es plus hurluberluiste
Que le seigneur Marinetti.

Je sais fort mal en quoi consiste,
En quoi surtout consistera,
L’art de ces messieurs futuristes…
Mais enfin, qui vivra verra.

Jusqu’à présent j’ai cru comprendre
Qu’ils allaient droit au plus pressé,
C’est-à-dire réduire en cendre
Tous les chefs-d’œuvre du Passé.

Si donc, comme je m’imagine,
Tu n ‘as pas d’autre rêve aussi,
Pour toi, la présente cuisine
Est une erreur de ces temps-ci.


Et c’est pourquoi tu la remplaces
Par une autre de ta façon,
Qui, par un tour de passe-passe,
Ne sera ni chair ni poisson.

Le vieux pot-au-feu de nos pères,
C’en sera donc fini de lui,
Lui qui connut des jours prospères,
Et jusques au jour d’aujourd ‘ hui !

Les plats dont la France s’honore
Seront abolis - tu l’as dit -
Par quels remplacés ? Je l’ignore…
«
Sic transit gloria Mundi ».

*
* ...*


Mais une chose davantage
Me rend - te dirai-je - anxieux,
Que tes futuristes potages,
Sur quoi tu es silencieux…


Si tu nous parlais de la cave ?
Est-elle futuriste aussi ?
La question est assez grave :
Il existe entre celle-ci

Et la cuisine, ce me semble,
Un contrat qui n’est pas nouveau,
Les deux marchent toujours ensemble
Quoi qu’en pensent les buveurs d’eau.


Comme la choucroute en Bavière
- Je m’en rapporte à ses chauvins -
Réclame éperdument la bière,
Notre cuisine veut le Vin.

Si ta cuisine est futuriste,
Ton vin doit l’être, s’il te plait !
Or, je me demande, tout triste,
De quoi ce vin sera-t-il fait ?

Car tu ne prétends pas, j’espère,
Arroser tes futurs brouets
Avec nos bons vins, mon compère,
Sont-ils pas, pour toi désuets ?

*
* ...*


Va chez la nation voisine
Cuisiner, si tu veux, mais crois,
Que chez nous la bonne cuisine
Est toujours celle d’autrefois.

Mais tous, vous vous payez de phrases,
O Futuristes ! qui pensez
Qu’on puisse faire table rase
Des merveilles des temps passés,

Sauf pour votre cerveau rebelle
Pour chacun il semble évident
Que toute invention nouvelle
Dépend d’un effort précédent,


En vous écoutant, Dieu me damne !
On croit ouïr de pauvres sots
D’aéroplanistes -en panne -
Qui nieraient le vol des oiseaux !


RAOUL PONCHON
Le Journal
21 juillet 1913

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