27 juil. 2008

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Au feu ! Au feu !
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Incendies de l'Opéra-Comique en 1838 et 1887, dernièrement reconstruit par l'architecte Louis Bernier en 1892 , fin des travaux 1893... *

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Le même architecte absurde, anémique
Va prochainement vous clore le bec
Avecque le même Opéra-Comique,
C’est-à-dire le même temple grec.

On a pris pitié de vous, imbéciles ;
Avant que dix ans se soient écoulés
On vous les rendra vos ténors fossiles :
Là, ne pleurez plus, ô futurs brûlés !

Vous retrouverez dans ce temple, certe
Les mêmes couloirs follement étroits,
Les mêmes buis dont, en cas d’alerte,
Quatre au moins seront condamnés sur trois ;

Vous retrouverez les mêmes ouvreuses
Qui vous sauteront dessus et qui vous
Déshabilleront comme des voleuses
En vous réclamant les mêmes prix fous ;


Les mêmes fauteuils de balcon, d’orchestre
Où vous entendrez sans désemparer,
Du premier janvier à la Saint-Sylvestre,
Le même opéra-comique à pleurer :

Même Domino noir et même Dame
Blanche qui jadis ont tant excité
Mon grand-père ; même âme qui s’enflamme,
Et même Chalet (de nécessité) ;

Même Postillon de Longjumeau, mêmes
Dragons de Villars, où les mêmes veaux
Iront mugissant les mêmes ; tu m’aimes…
Je t’aime, sur les mêmes airs nouveaux.

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* ...*



Donc, un jour, et juste à la même époque -
On veut croire - que, dans ce sombre lieu,
O même public entêté, loufoque,
Vraisemblablement condamné par Dieu,

Tu seras présent, selon l’us antique,
Au même Mignon du même Thomas,
Et baillant au même endroit pathétique,
Comme qui dirait dans les grands formats ;

Tout à coup, dans les mêmes circonstances,
De même façon, dans le même instant
Et par suite des mêmes négligences
Et précisément au même portant,

Le feu prend, d’abord sournois, puis folâtre,
Et comme il rencontre un bel aliment
Dans ce bric-à-brac qu’on nomme un théâtre
Il se multiplie effroyablement.


La direction accourt éperdue,
On cherche la clé de la prise d’eau,
Mais il y a beau temps qu’elle est perdue,
Le même pompier, d’ailleurs fait dodo ;

Pendant ce temps-là, l’incendie énorme,
O mon cher public, t’as déjà réduit
En une pâtée insondable, informe,
En je ne sais quoi qui hurle et qui cuit.

Va, mon vieux, tu peux te ruer aux portes…
Ne sais-tu donc pas qu’en entrant ici
Tu dois te compter dans les choses mortes ?
Que si cette fois tu n’es pas roussi,

Cependant, mon Dieu, cela peut se faire…
- Car dans un théâtre aussi grand qu’il soit,
Il est évident comme élémentaire
Qu’on ne saurait tous brûler à la fois, -

Tu auras ton tour. Le même anémique
Te refera le même temple grec,
Si tu veux le même Opéra-Comique,
Où tu reviendras te chauffer le bec.

Et ainsi de suite…


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
30 oct. 1892


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