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RÉPONSE au PHILOLOGUE
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aurait un vocabulaire de trois cent mille mots
et le français seulement trente mille.
Etonnant philologue
Tu prétends, sale drogue
A nus, pauvres grimauds
Que votre langue anglaise
Jouit - ne vous déplaise -
De trois cent mille mots ;
Tandis que la Françoise
Notre vieille gauloise
N’en a - si j’ai bien lu -
Sous le règne d’Emile
Que trente pauvres mille,
Pas un fifre de plus.
C’est peu, je le confesse.
Pour une langue qu’est-ce
Que trente mille mots ?
Elle devient absurde,
Un charabias kurde,
Un patois esquimau.
Donc, selon ton histoire
Ta vieille Queen Victoire
A trois cent mille mots
Pour demander à boire.
C’en est plus, on veut croire,
Que n’en ont les chameaux.
Notre langue, en revanche,
Branle un peu dans la Manche…
Est-ce que t’en sais rien ?
Où l’as-tu donc apprise,
Monument de sottise,
O statisticien ?
Si c’est dans les articles
En français de bernicle
Du Prussien Blowitz,
Certe, elle n’et pas riche
Et brille moins, pardiche !
Qu’un soleil d’Austerlitz.
Mais elle est manifeste
Dans nos chansons de geste…
Nos Froissards, Dieu merci !
Nos Rabelais, Montaignes…
Hugos que tu dédaignes,
Et nos Flaubert aussi.
Les trois quarts de la vôtre
Proviennent de la nôtre
- Pèse tes documents -
Du temps où l’Angleterre
Etait - m’a dit ma mère -
Soumise aux gars normands.
Nous pouvons sans pillage
La remettre en usage.
Elle est encor, my dear
A la dysprosodique
Du Français vieux ou jeune
Qui voudra s’en servir.
Bah ! Tu peux nous en prendre ;
Nous en ons à revendre
Des mots, âne bâté !
Ainsi, moi qui te parle,
Et qui ne suis pas d’Arles
Je pourrais ajouter
Que je me crois capable
De trois mille vocables
Défiant ton calcul,
Pour te dire en substance,
Malgré ta rouspétance,
Que tu n’es qu’un vieux cul.
Au demeurant, pauvre homme,
Une langue est en somme
Riche suffisamment
Quand on peut sur la lyre
Dire ce qu’on veut dire.
Ainsi tiens : justement
Notre si pauvre langue
Brille dans les harangues
Par sa conviction ;
Parfois un seul vocable
Vaut un speach remarquable,
Selon l’occasion.
J’en tiens un sous ma plume
Qui vaut mille et résume
Très bien ce discours-ci.
Je ne veux pas le dire
Par respect pour ma lyre,
Mais tu le sens d’ici.
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
24 sept. 1899
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