16 juin 2008

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HERVE RIEL
(LA HOGUE, 1692)
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A qui l’on vient d’élever un monument au Croisic. *

Or, vingt-deux beaux vaisseaux du Roy
Se trouvaient en grand désarroi,
Harcelés par ceux d’Angleterre,
Leur ennemie héréditaire,
Sous les remparts de Saint-Malo.
Ils n’avaient plus qu’une ressource,
C’était de profiter du flot
Et de les gagner à la course.
Mais las ! Les instants étaient courts
Et quand même, quelle apparence
Que des vaisseaux comme ceux-là
Pussent pénétrer dans «
la Rance », *
Plutôt Charybde et mieux Scylla !…
Car des navires de vingt tonnes
Y regardent à plusieurs fois,
La Rance étant de ces endroits
Plutôt durs des côtes bretonnes,
Rochers à bâbord, à tribord,
Fonds sournois, et, que sais-je encor…
Enfin, c’est un affreux méandre.


- « Et quoi ? Faut-il nous laisser prendre,
Dit d’Amfreville, par l’Anglais,
Ou succomber sous leurs boulets ?
Pour éviter ces malheurs pires,
Nous ferons sauter nos navires. »
Ainsi parla notre amiral,
Et ce fut l’avis général.
Déjà l’on se préparait même
A cette manœuvre suprême,
Quand un vieux pilote côtier
Du Croisic, un gars du métier :
- « De si beaux vaisseaux, les détruire !
Fit-il - parbleu ! vous voulez rire !
Mon amiral - sauf vot’ respect.
Le danger n’est pas si direct.
Si vous voulez me laissez faire,
Je puis, moi, vous tirer d’affaire.
Je connais le moindre caillou,
Quand il serait gros comme un clou.
J’ai bourlingué dans ces parages,
Et ça, par des temps de naufrage,
Plus dangereux que vos Anglais,
Et je suis encore au complet.
Si donc, vous voulez me permettre
D’être, pour un instant le maître
A bord de votre grand vaisseau,
Les autres suivant son sillage,
Dites que je ne suis qu’un sot,
Si tantôt, en un sûr mouillage,
Ils ne sont tous, et sans dégâts. »
L’amiral dit : « Vas-y, mon gars,
Prends donc la barre et nous pilote,
Et tâche de sauver la flotte.
Ton nom ? » - « Hervé Riel. »


.........................................Alors,
Voilà, toutes voiles dehors.
Et pavillons des jours de fête,
Nos vaisseaux, le plus gros en tête,
Les autres suivant en trainards ,
- Telle une bande de canards -
Qui franchissent l’étroite passe,
Sans accroc à leur carapace,
Et vont jeter l’ancre à bon port,
Aux pieds de la tour Solidor
C’était fini du mauvais rêve.


Quand ils furent tous sur la grève,
Marins, officiers, jusqu’au ciel,
Un cri s’élève : Hervé Riel !
D’Amfreville lui dit : « Mon brave,
Tu nous sauvas d’un péril grave.
Je te dois la vie et l’honneur,
Ton nom est gravé dans mon cœur.
Mais c’est du Roy, c’est de la France,
Que tu tiendras ta récompense.
En attendant, viens dans mes bras.
Demande ce que tu voudras
Et tu l’obtiendras, sur mon âme ! »


- « Mon amiral, je ne réclame
Rien - fit Riel - bien obligé,
Si vous m’accordez un congé,
Pour aller voir ma pauvre femme.



RAOUL PONCHON
le Journal
31 mars 1913


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