14 avr. 2008

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LA FOIRE AUX PUCES
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(Semaine de Pâques)

Chaque année, à la même
Époque de Carême,
Ton boulevard est noir,
Richard Le Noir,
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De monde. Et tout ce monde
Grouille dans un immonde
Et navrant bric à brac,
Sans peur ni trac.


C’est la foire aux ferrailles,
Aux vieilles antiquailles,
Soi-disant. Croyons-le,
Mais, nom de Dieu !

*
* ...*


S’il faut qu’on s’en rapporte
A la sombre cohorte
De nos plus anciens
Parisiens,


Jadis avant la guerre,
L’expert le moins vulgaire
Y pouvait faire encor
Des marchés d’or.

C’était - je m’imagine -
Des bouquins « d’origine ».
On avait des Carpeaux
De tout repos ;


Des Corots authentiques,
Des médailles antiques,
Pour un morceau de pain,
Pour un pépin.
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Bref, avec une thune,
On risquait la fortune.
Aujourd’hui va-t-en voir !
Perds tout espoir

De rencontrer, ô poire !
Dans cette ignoble foire,
Dans ce hideux fouillis,
Cacafouillis,

Des objets de vitrine…
Mais gare à ta poitrine !
Car qu’est-ce que tu prends
Emmi ces brans ?


Ce ne sont que des loques,
Innommables défroques,
Ordes peaux de lapins
Pour tous chopins.

Chaussures sans empeignes
Ni semelles, vieux peignes
Et mégots de fusils.
Bouquins moisis ;


Et des poux et des puces,
Parfois des juifs prépuces
Confits dans de l’alcool,
C’est tout. C’est fol !

Il n’empêche. Il n’importe,
Tout Paris là se porte.
Car tout ce brac-à-bric
Plait au public.

C’est à croire qu’il aime
A s’empester lui-même.
Mais c’est vrai qu’il est né
Tout vacciné.



Pendant une semaine,
Comme un énergumène,
Tu le vois farfouiller
Et tafouiller


Dans toutes ces ordures
Redoutables, impures,
Ces détritus pesteux,
Cholérateux,

Renifler ces défroques,
Subodorer ces loques,
Et cela sans vomir.
Ça fait frémir.


Quelquefois même il tique
Sur des crottes de bique…
Et le plus beau, ma foi,
C’est qu’il les croit

Des perles, qu’en cachette
Prestement il achète,
En les payant, d’ailleurs
Plus cher qu’ailleurs !



RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
avril 1903

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