1 avr. 2008

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le journal
" LA BONNE CUISINE "
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Entre les journaux frais éclos,
Ces temps-ci, plus ou moins falots,
Un qui me fascine
Moins que tous le autres banal,
C’est assurément le journal
« La Bonne Cuisine ».

Quel est l’être délicieux
De notre gueule soucieux
Qui le fait paraître ?
Un fils de Brillat-Savarin ?
De Carême un adultérin ?
De Grimod, peut-être ? *

Quoi qu’il en soit de son auteur,
Qu’en effet nous ne savons plus
Ni manger ni boire ;
En France ! Est-ce pas merveilleux ?
Quand on pense à nos fiers aïeux
Qui s’en firent gloire !

En France, le pays bénit
Où l’abondance a fait son nid,
Voire, où que tu ailles,
Tu rencontres à chaque pas,
Aux fins de succulents repas,
Vins et victuailles !

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« Fi ! s’écrieront des épiciers :
En voilà des instincts grossiers,
Bien manger et boire !
C’ était bon dans les temps fangeux
Ignorants et moyenâgeux,
Quand on était poire .

Aujourd’hui, bran et tralala !
Et du moment que chez nous la
Science pullule
Nourrissons-nous chimiquement,
Et renfermons tout aliment
Dans une pilule. »

O raisonnement de uhlan *
A faire pisser un merlan !
Voyez, niquedouilles,
Où en sont vos fiers estomacs :
Ils ne digèrent même pas
Du brouet d’andouilles.


Jadis - du moment qu’il comptait -
Chaque estomac chez nous était
En vrai cuir de botte ;
Aujourd’hui, pour tâter le pouls
A deux verres d’eau simple, vous
Etes en ribote.

Vous êtes fichus, far fichus
Irréparablement déchus.
De là votre gloire,
Si, le prenant d’un cœur léger,
Vous dédaignez de bien manger,
Aussi de bien boire.


Car vous en crevez tous les jours
De mal manger, ô mes amours,
Jeunes mirliflore ;
Et vous en perdez notamment
De votre esprit et jugement,
De votre phosphore.

La lampe de notre cerveau
Eclaire bien mieux, tas de veaux,
Lorsque l’huile est bonne.
Garnissez-la bien, s’il vous plait,
Car, dans le cas contraire, elle est
Fumeuse et charbonne.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
mars 1903
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