31 mars 2008

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L'INTRUSE
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En 1902, on dut déplacer le couronnement d'Edouard VII , du mois de juin au mois d'août ; le futur roi étant victime d'une appendicite aigue.
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Ainsi tout était prêt pour le sacre du Roi :
La pourpre, la couronne et tout le grand arroi.

On avait astiqué la Main, le Glaive et l’Orbe,
Emblème du néant que l’Angleterre absorbe.

Les bardes lauréats relimaient leurs couplets,
Et l’on avait gagné le léopard anglais.

Partout retentissaient des hymnes de victoire.
C’était l’Histoire gaie après la sombre Histoire.


Le peuple hie encore en proie aux noirs corbeaux,
S’exaltait maintenant sous des arcs triomphaux.

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Il escomptait déjà les belles cavalcades
Et s’entassait jusqu’à la mort sur les estrades.


Londres qui d’habitude est gris - soyons poli -
Rutilait sous un ciel de lapis lazuli.

Et le soleil lui-même était de cette fête
Il ne manquait donc rien pour qu’elle fut parfaite.


On avait convié tous les peuples - pas moins -
Pour être de cette heure orgueilleuse témoins.

Tous avaient répondu. Des milliers d’ambassades
Se proposaient de défiler à la parade ;


Des princes de tout poil et de toutes couleurs
Que c’était à les voir comme un bouquet de fleurs.

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Il en était venu tant et tant que, d’emblée,
La population de Londre en fut doublée.


On marchait sur du nègre et du maharadjah…
Or, comme il fallait que tout ce monde logeât


Et mangeât, sans compter le surcroît de bagages,
On avait élevé Londres de deux étages.


Et déjà des troupeaux de moutons et de bœufs
Impatients au sein des pacages herbeux,

Se flattaient de rôtir tout entiers à la broche
Et de prendre ainsi part à la folle bamboche.


Les tonneaux de wiskie ardaient aux carrefours,
Et les puddings fumaient à la gueule des four.


Comme on pense, dans les cuisines et les caves
On avait centuplé le nombre des esclaves.


Songez donc, mes amis, c’est à faire frémir
Six à sept millions de bouches à nourrir !


De plus, n’en doutez pas, des gerces accourues
D’un petit peu partout assourdissaient les rues.


L’amour ne perd jamais ses droits en Albion.
Pas de sacre qui tienne et lui dame le pion.

Enfin, tout était prêt,. On était à la veille
De ce jour dont on attendait grande merveille



Le roi se mit au lit pour prendre du repos
Afin de se trouver le lendemain dispos.

Comme il ne dormait pas, il sentit un fantôme
Se glisser près de lui, le toucher de sa paume,

Et l’entendit aussi qui murmurait tout bas :
« Je suis celle - vois-tu - que tu n’attendais pas .

« Celle qui vient quand on ne l’a pas invitée.
Je suis l’Appendicite et j
e veux ma pâtée. »


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
29 juin 1902
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on lit dans ce même COURRIER FRANCAIS :
...un réel émoi a secoué la population de Paris lorsqu'elle a connu la nouvelle de Londres ! On ajourne les fêtes du couronnement à cause de l'opération chirurgicale qu'il a fallu pratiquer au flanc d'Edouard VII.

Dès ce moment, le malheureux roi devient presque sympathique et les blagues cessent sur son compte. Et d'abord que gagnerait la france à la disparition de ce souverain ? Ancien viveur de l'existence parisienne, de moeurs légères, il avait dépouillé le prince des grands bars pour régner. Par esprit d'orgueil - ou peut-être d'humanité - il avait lourdement pesé dans la balance pour que l'on accordât aux Boers une paix raisonnable. Il n'éprouvait point de sentiment belliqueux et jamais une agression contre nous n'aurait été ordonnée par lui. Nous ne devons donc souhaiter que son rétablissement ! Un plus mauvais monarque lui pourrait succéder.
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