24 mars 2008

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ICI
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Mademoiselle, cela ne se fait pas ici,
dirent les sociétaires à Mlle Després *
qui interprétait un rôle…
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Ici n’est pas, pourrait-on croire,
ICI à proprement parler.
Ce n’est pas l’endroit où l’on foire,
Où l’on va quand il faut aller ;

Ni ce qu’un euphémisme appelle
Le trône… le petit endroit…
Où chacun va-t-à pied, les belles
Voire même le plus grand roi ;

Ici ce n’est pas les tinettes
Avec un trou central. Ici
N’est pas ce que l’Anglais honnête
Dénomme le Deubliou-Ci ;

Ni les cabinets… ni les chiottes,
Ni les funèbres goguenots
Où, dès qu’on a mis bas culottes,
On pose un modeste cadeau ;


Ce n’est pas cet endroit immonde
Chiffré par le numéro cent
Où toujours il y a du monde,
Surtout quand le « cas » est pressant ;
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Ni ce qu’en leur humeur chagrine
L’État, comme les vieux messieurs,
Nomment pompeusement « latrines »,
Le peuple simplement les « lieux ».


Ici, c’est le lieu de lumière,
Le temple de l’Art et du Goût,
C’est la Maison de Molière
Et de Dubout et de Sardou !


C’est la Divine Comédie
- Rien de dantesque cependant -
C’est l’usine du « Quoi qu’on die »
Et la troupe du Président.


C’est, à moins qu’on le calomnie,
L’endroit désigné par décret
Où tout le monde a du génie,
Jusques à Coquelin Cadet.


Vous pensez bien, mademoiselle,
Qu’en de telles conditions,
Il ne suffit d’avoir du zèle.
Eh bien, et les traditions ?



Et ce sacré Conservatoire,
Où se recrute la Maison,
Vous semble-t-il pas péremptoire ?
Et la forme de Brid’oison ?…


Parbleu, vous vous croyez idoine
A jouer Ici, parce que
Vous avez joué chez Antoine !
Ben,ma fille, attendez un peu.

Sortez-vous de Pontoise ou d’Arle
Pour croire qu’en ce théâtre un
Tout naturellement on parle
Ainsi que les ceuss du commun ?


Et qu’il suffit d’avoir la flamme,
De jouer intelligemment,
Avec son cœur, avec son âme
Sans faire tant de boniment.


Sachez que dans cette boite onque,
D’après l’us traditionnel,
On ne parle comme quiconque.
On est compassé, solennel.



C’est bon pour les autres théâtres
D’être simple, naturel, gai.
Aux Français plus on est saumâtre
Et plus on se croit distingué.


Pour ces honorables pontifes,
Jeune Després, vos qualités
Ne sont pas des hiéroglyphes.
Alors n’insistez pas, partez.


L’endroit n’est si tant folâtre,
Oh ! non ! et vous serez aussi
Bien dans n’importe quel théâtre
Vous pouvez m’en croire qu’ICI.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
13 juil. 1902
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