4 avr. 2009

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OEUFS de PAQUES
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Aux premiers siècles de l’Église,
Le carême était obéi
En toute rigueur et franchise,
Beaucoup plus qu’il n’est aujourd’hui.



De nos jours, la foule se rue
- Pour n’offusquer point l’évêché,
Pendant un jour, sur la morue.
C’est s’en tirer à bon marché.


En ces quarante jours de jeûne
L’oeuf lui-même était interdit.
Jadis. Mais quoi ! l’on était jeune,
Et l’on se le tenait pour dit.


Aussi, que d’œufs à la douzaine,
Au bout de ces quarante jours !
Car les poules toujours en scène,
Vous pensez bien, pondaient toujours.

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Nos bons aïeux, dit mon histoire,
Ne pouvant pas tous les manger,
Les donnèrent comme amusoire,
A leurs enfants. On peut juger

Si petits garçons et fillettes
Furent de l’aubaine ravis,
Vous en firent des omelettes
Sur les murs et les tapis.


Les parents d’abord s’indignèrent
- C’était bien de leur faute aussi -
C’est alors qu’ils imaginèrent
De leurs donner les œufs durcis,

Pour éviter d’autres surprises.
Plus tard on les peinturlura,
On les illustra de devises,
De peintures, et caetera.



Il se fit ainsi des merveilles
Que l’on ne pouvait vraiment pas
Laisser aux menottes vermeilles
Qui n’en eussent fait qu’un… repas.



Et donc l’usage prit naissance
D’envoyer ses œufs en présent
A ses amis, ses connaissances…
Peut-être allait-on s’avisant


Que l’œuf est un parfait emblème
D’amour et de fécondité,
Et qu’il devient, par cela même,
Un cadeau de toute beauté.

Et puis, qui sait si nos ancêtres
Y voyaient rien d’aussi subtils ?
Leurs desseins étaient plus champêtres…
C’est possible. Toujours est-il


Que Pierre ou Paul donnait à Jacques,
Et Jacques, réciproquement,
A Pierre ou Paul des œufs de Pâques
- Mettons par pur amusement.


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*... *

Or, en nos époques funestes,
Comme tout se perd sous le ciel,
C’est fini de ces œufs modestes.
On croit être spirituel




En te les fabriquant en sucre,
En carton-pâte, en or, en bois,
On en fait des objets de lucre !
Ils sont appréciés au poids.


J’en connais qui sont peints à fresques
Par nos Fragonards et Bouchers ;
D’autres, à ce point gigantesques,
Qu’une autruche y pourrait nicher.

C’est prétentieux et c’est bête
A manger du foin, et surtout
Ça coûte les yeux de la tête,
Ce qui n’est plus drôle du tout.


RAOUL PONCHON
Le Journal
01 avril 1907

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