30 sept. 2010

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LE NEZ DE CYRANO
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On parle d’exhumer Cyrano de Bergerac.
(Journaux)


Mon Dieu ! Dans quelle ignorance
Sommes-nous encore en France,
Si je lis bien les journaux,
De ton nez, pourtant notoire,
Magnifique et péremptoire,
O mon brave Cyrano !

Voilà que des gens de plume
En contestent le volume,
Le format, le gabarit ;
Et pourquoi, je me demande,
En font un nez de légende ?…
C’est à en perdre l’esprit !

Ton nez, dirait-on, les gêne.
Ils ont pour lui de la haine.
D’aucuns tiennent pour constant
Qu’il est né de toutes pièces,
Pour le besoin de sa pièce,
Dans le cerveau de Rostand.



Ou, tel y croit, qui répète
Qu’il n’était pas en trompette.
C’est évident, c’est trop clair.
Et qui diable ici le nie ?
Est-ce qu’homme de génie
Eût jamais le nez en l’air ?


Ce nez, que l’on ne s’y trompe,
Tenait bien plus de la trompe
D’un éléphant que d’un nez.
C’était, obombrant la bouche,
Un appendice farouche
A deux lobes géminés.


C’était, si l’on veut encore,
Racine de mandragore
Que le nez de Cyrano.
Votre, un pavillon en berne,
Si ce n’est une lanterne
L’éclairant
a giorno.

Bref, c’était le nez d’un sage,
Qui faisait sur son visage
Un fameux venez-y voir.
Mais tel jeune néophyte
Eût risqué la mort subite
A le lui faire savoir.


Tel était son nez. La preuve
Dans ses portraits on la trouve,
Il était plus aquilin
Donc, mais avec de la grâce,
En dépit de sa chair grasse.
Et si le sieur Coquelin



L’arbore d’une autre sorte,
C’est afin que sa voix porte ;
Ce qu’elle ne ferait pas
Évidemment, si ce maître
Nez - tu parles ! - au lieu d’être
En hauteur, tendait en bas.


Ce n’est là qu’une défaite.
S’il met le sien en trompette,
C’est pour n’être point gêné,
En claironnant ses tirades,
Ses batailleuses ballades,
Par ce formidable nez.



RAOUL PONCHON
Le Journal
22 juin 1907
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Daniel Sorano :

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