17 févr. 2008

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La Question du Louvre

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Une dénommée Valentine Cautrel s’est livrée à la police en septembre 1907, avouant avoir lacéré de coups de ciseaux au Louvre un tableau de Ingres peint en 1820 représentant la Chapelle Sixtine.
Pour la petite histoire, la prévenue, âgée de 27 ans, a déclaré avoir commis cela pour se faire arrêter, se trouvant sans ressources sur le pavé de Paris en exposant les théories d’un socialisme mal compris :
" C’est très beau d’avoir des musées pour y conserver des œuvres d’art ; mais on ferait mieux de vendre tous les tableaux du Louvre pour donner du pain aux malheureuses comme moi. J’ai voulu protester contre la société actuelle, contre l’argent dépensé pour recevoir des souverains et aussi pour me faire arrêter. On sera obligé de me nourrir en prison. "
Et d’ajouter :
" Je regrette profondément mon acte. Je ne connaissais pas, quand je l’ai commis, la valeur de l’œuvre que j’avais choisie. Je le regrette d’autant plus que j’ai appris depuis que l’auteur de ce tableau avait souffert comme moi. " (le Journal)




Quoi ! parce qu’une pauvresse,
Dans un moment de détresse,
A quelque peu défrisé
Un tableau de votre Louvre,
Vous voulez que l’on recouvre
Chaque chef-d’œuvre exposé !

Le geste serait stupide
Pour un « vandale » intrépide,
Ça n’y fera pas beaucoup…
Et ce n’est pas une vitre
Qui gênera ce bélître,
S’il veut faire un mauvais coup.

Alors, que chaque statue,
De même, soit revêtue
D’un carreau, comme un tableau,
Puisque chacune, belle affaire !
Est bien capable d’une farce
Une … Vénus de Milo.

Ainsi, moi donc, pauvre hère,
Je pourrais, vêtu d’un verre,
Si ce n’est pas d’un tonneau,
Échapper en quelque sorte
A la terrible cohorte
Des bicots de Montparno ?…


*
* ...*


Toute une foule avisée
A la porte du musée
Voudrait mettre un tourniquet.
On n’y ferait son entrée
Que vêtu d’une livrée
Ou brandissant un ticket.

La somme ainsi recueillie,
A celle des parapluies
Jointe, pourrait vous servir
A nous offrir des chefs-d’œuvre,
Comme à doubler la manœuvre
Pour les mieux entretenir.

A cela, que peut-on dire ?
Mes enfants, laissez-moi rire ;
N’en déplaise à Dujardin,
Nous avons assez de tiares *
Comme cela, des plus rares,
Ainsi que de faux Chardin.

En faisant payer l’entrée
Dans votre enceinte sacrée,
Vous espérez triompher
Des êtres guenilleux, sales,
Qui pénètrent dans vos salles
Seulement pour se chauffer ?…


Et pourquoi ça, je vous prie ?
C’est là de la barbarie
Et de l’injustice ainsi.
Sachez que ces pauvres diables,
En tant que contribuables,
Y sont chez eux, Dieu merci !


Puis, eux partis, je soupçonne
Que vous n’aurez plus personne,
Si ce n’est quelques Anglais,
De vagues noces furtives,
Indûment admiratives…
Autant fermer le palais ;

Ça vaudra mieux. Du diantre
Si jamais un d’eux y entre
De ceux-là qui crient si fort
Contre la gratuite entrée.
Ils font de la simagrée.
Le Louvre n’est pas leur sport.

Enfin, qu’il ferme ou qu’il ouvre,
Quand on leur parle du Louvre,
Tels le croient chez nos voisins ;
Tels autres - sont-ils plus poires ? -
Sont tout disposés à croire
Qu’il s’agit des Magasins !…


RAOUL PONCHON
Le journal
07 oct. 1907

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