11 févr. 2008

.
.
.
Qui donne au Pape prête à Dieu
.


J’étais donc avec Otero
La dernière semaine
A faire un petit numéro
Dans la Cité Romaine ;

Quand, las de regarder pleuvoir
-A Rome il pleut sans cesse -
Nous résolûmes d’aller voir
Notre vieux Léon Pecce (1).

A la porte du Vatican
Un garde sans usage
Tout d’abord d’un sabre éloquent
Nous barra le passage.

Ayant l’habitude des cours
Ma belle camarade
Lui fit entendre en un discours
Souligné d’une œillade,

Que loin d’être des malfaiteurs
Nous venions, au contraire,
Participer avec ardeur
Au denier de Saint-Pierre.


« Ah bien ! si c’est pour éclairer,
Le bon Dieu vous le rende !
»
Dit-il, en nous faisant entrer
Dans la salle aux offrandes.

Oh ! le spectacle qui s’offrit
A nous, dans cette salle !
Comment le mettre par écrit ?
C’était la succursale,

L’instar de quelque Hôtel Drouot ;
Un bric-à-brac immense
Qui - je pus le dire tout haut -
Tenait de la démence.

A côté d’objets précieux
Pour le culte et les rites,
D’autres s’entassaient sous nos yeux,
Des plus hétéroclites.

Là, c’étaient des fusils rouillés,
Des boîtes de sardines…
Des crocodiles empaillés,
Des paires de bottines…


Ici, des pneus, des râteliers
En dents d’hippopotame…
Des camelots par milliers
Et des corsets de femme…


On ne savait dire tout ce
Qu’au Vatican il entre.
Mais pour le ministre de Dieu
En somme, tout fait ventre.

Mais où écarquillé je fus
Des yeux jusqu’aux oreilles,
C’est en voyant nombre de fûts,
Quantité de bouteilles,

Vins de tous pays, de tout sang,
Et de pourpre et d’aurore !
J’en comptai des mille et des cent
Et ce n’est rien encore.


De quoi noyer, en vérité,
Les plus vastes kermesses,
De quoi, pendant l’éternité
Célébrer d’âpres messes !

Ah ! ah ! je comprends maintenant
Que le vin nous échappe :
Du Levant jusques au ponant
Il va tout chez le Pape.


" Qu’en fait-il, ce vieux rigolo ?
- Dis-je au garde, en colère -
Puisqu’il ne boit que du lolo,
Si ce n’est pas l’eau claire.


- C’en est, répondit-il tout bas,
A ce que l’on raconte,
Seulement ne le dites pas,
Je recevrais mon compte.
"

Nous lui fîmes un grand serment,
Et si je ne m’abuse,
Le léger don d’un diamant
On veut croire - de Bluze.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
09.02.1902
.
.
(1) Pecce pour Pecci, licence poétique.
.

Aucun commentaire: