7 janv. 2008

.
.
.

LES HARICOTS HOMICIDES

.


Le docteur Guignard a trouvé de l’acide prussique ou cyanhydrique dans les haricots.
(Journaux)


Il n’est pas de jour, pauvre France,
Où tel docteur, plein d’assurance,
N’aille jetant le discrédit
Sur ce que tu bois et tu manges.
Tout n’est que poisons et que fanges…
C’est chaque jour de l’inédit.


Pour peu que cela continue,
Si le savant dans sa cornue
Analyse le potager,
Comme, il fait toutes viandes vives,
Bientôt, infortunés convives,
Nous ne saurons plus quoi manger.

*
* ...
*


Ainsi, des savoureux légumes,
S’il en est un - qui les résume -
Que je croyais de tout repos,
Indiscutable, immarcescible,
Je l’eusse juré sur la Bible,
C’est bien vous, modestes fayots ;

Jusques à ceux du collège,
Qui, par singulier privilège,
N’étant rien moins qu’insidieux,
Et me semblaient une ambroisie,
Une nourriture choisie,
Digne de la table des dieux !

.

Hélas ! ô haricots classiques,
Vous êtes des nids de toxiques,
Nous dit un savant médecin ;
Et c’est des acides prussiques,
S’ils ne sont pas cyanhydriques,
Que vous couvez dans votre sein !


C’est fini de vous, faséoles
Mijotant dans les casseroles !
Soissons, « rognons de coq », « cocos »…
A chair laiteuse et purpurine,
Et autres de même farine…
Fini de vous, ô haricots !


A moins que la bouche on leur couse,
Que diront les gens de Toulouse,
Et ceux de Castelnaudary,
S’ils doivent, pris de folle transe,
Renoncer, en cette occurrence,
A leur cassoulet favori ?


O science ! ô plaisanterie !
O haricots de ma patrie !…
Tenez… vous parlez de gigots ?
Mais les gigots seraient eux-mêmes,
Sans vous, ô végétales gemmes,
De la viande pour Ostrogoths.


Sans doute, après mûr inventaire,
J’admets qu’il n’est rien sur la terre
Qui ne porte en soi son poison.
On en trouve, ne vous déplaise,
Jusque dans un bâton de chaise ;
Mais ce n’est pas une raison


Pour déclarer que la mort gîte
Dans tout ce que l’on ingurgite.
Des estomacs, cela dépend,
En plus ; et j’en sais un sévère,
A qui le poison indiffère,
C’est le mien, robuste et pimpant.


*
* ...*


Or, je ne sais aucune viande
Qui me soit plus chère et friande
Que ces haricots désastreux.
Quoi que la Faculté prononce,
Il s’en faut bien que j’y renonce.
S’ils sont nocifs, tant pis pour eux !


Je m’en suis flanqué des bitures,
Et m’en flanquerai des futures,
Avec le mépris du danger.
Et que s’ils me rendent malade,
Croyez-le bien, mes camarades,
Ce sera pour en trop manger.





POST-SCRIPTUM

Rassurez-vous. Alarme vaine !
Ne vous mettez pas plus en peine,
Car notre docteur reconnaît
Que les seuls, vraiment dramatiques,
Sont des haricots exotiques,
Qui ne parlent que javanais.


RAOUL PONCHON

Le Journal
12 mars 1906





Aucun commentaire: