26 déc. 2007

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NOËL
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La scène représente une chaumière.
Un berger entre et dit à sa femme :

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« Ma femme, tu ne saurais croire
Quel spectacle nouveau…
Mais donne-moi toujours à boire
Mâtin, il n’fait pas chaud.


«C’est bien la plus chose bitrange
Que je connaisse encor,
Un petit Dieu dans une grange,
Un poupon tout en or.

« Tiens, mettons-nous toujours à table,
Je te raconterai
Ce que j’ai vu ? C’est incroyable,
Et ça n’a pas l’ai vrai,

« Il était là sur de la paille…
Passe-moi le fricot,
Avec un âne et des volailles…
Où sont les haricots ?


« Il y avait le roi de Prusse…
- A ce que l’on m’a dit -
Et puis aussi le roi des Russes…
Ce fricot est trop cuit,

« Il y avait d’autres fripouilles
Venus là en voisins…
As-tu fait cuire les andouilles ?
Eh bien, et le boudin ?

« Ils étaient à genoux par terre…
Tu ne manges donc pas ?
Moi je commençai par me taire…
Veux-tu du cervelas ?

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« Alors un de ces personnages
Lui fit un long discours…
A propos, dis-moi, le fromage,
Est-ce qu’il court toujours ?

« Le petit plein d’intelligence
Ne voulait rien savoir.
Mais il avait, comme tu penses,
Grand plaisir à me voir.

« Je pris dans mes mains ses menottes
Devant tous ses messieurs…
Va donc tirer, veux-tu, ma crotte,
Un pichet de vin vieux…

« Au même instant dans tout mon être
- Tout comme quand je bois -
Je sentis quelque chose naître
De bon que j’ignorois…

« Ah ! Quel bon vin ! Par la Madone !
Quand il sera plus grand
Il faudra que je lui en donne
Au cher petit enfant.

« Nous étions là depuis une heure…
Mets du bois dans le feu…
Tout à coup, v’là-t-il pas qu’il pleure :
Ça n’était pas heureux.

« Messieurs, nous dit alors sa mère,
Ça n’est pas, vous voyez,
Pou vous faire de la misère,
Ni pour vous renvoyer ;


« Mais c’est qu’il a sommeil, s’il pleure,
Faut le laisser dormir.
Vous connaissez notre demeure,
Vous pourrez revenir.

« Nous sortîmes donc en silence,
Et le plus curieux
C’est que ces rois pleins d’opulence
Me firent leurs adieux,

« Voilà un fait. Vois-tu, ma chère,
Ce Dieu qui nous est né
Cette nuit, n’est pas ordinaire.
Buvons à sa santé ! »


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
26 déc. 1897




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