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LE ROUGE et LE NOIR
.LE ROUGE et LE NOIR
Les rois sont tout rouges,
tout rouges.
Les présidents sont tout noirs,
tout noirs.
A l’une des vingt-trois croisées,
Que j’ai sur les Champs-Élysées,
Je m’étais mis, pour voir passer
Loubet et le roi d’Angleterre. *
A quoi bon en faire mystère ?
J’aime autant vous le confesser.
Ils passèrent, à l’heure dite,
Devant une foule insolite,
Vers trois heures et quart, je crois.
J’étais sans nulle inquiétude :
Au demeurant, l’exactitude
Est la politesse des rois.
L’un portait un bel uniforme
Écarlate, splendide, énorme,
Et rutilait comme Phébus ;
Et l’autre - un rien, d’ailleurs vous pare -
Une redingote barbare,
Avec, sur la tête, un gibus.
Cet homme en tunique écarlate,
Pensai-je,- et qui de gloire éclate,
Ce doit être le roi, parbleu !
Un Président de la République,
De par le protocole aulique,
N’a droit qu’au noir, pas même au bleu !
Cependant, il faut bien le dire :
Tel est de ce rouge l’empire,
Que le chef du gouvernement
Doit toujours porter sous ses frusques
Un ruban rouge. Il ne va jusques
A s’en vêtir complètement.
Voire, chez nous, en quelque sorte,
Il suffit qu’un citoyen porte
Un peu de rouge à son habit.
Il domine, chacun le nomme.
Tout de suite, il est un autre homme
D’un suprême acabit.
Donc, le rouge est, par excellence,
La couleur de la précellence.
Le noir, à côté, se tient coi.
Aussi, que doit faire un monarque
S’il ne veut pas qu’on le remarque ?
Je vous demande, il fera quoi ?
Il ôtera sa rouge veste.
Le roi disparaît, l’homme reste.
C’est monsieur tout le monde. Et s’il
Veut rouler sa bosse, il la roule,
Sans que personne, dans la foule,
Le z’yeute seulement d’un cil.
RAOUL PONCHON
Le Journal
04 mai 1903
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