2 déc. 2007

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IL VA GRÊLER SUR LE PERSIL
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La Condamine entre aujourd’hui *
Au sein de la troupe immortelle.
Il est bien sourd, tant mieux pour lui ;
Mais pas muet , tant pis pour elle.





Il est des gens qui, loin de nos ignobles luttes,
D’abord sur l’Hélicon vont se tirant des flûtes,
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Grimpent jusqu’au sommet sans le moindre ascenseur,
Y tutoient Apollon, biscottent les neufs Sœurs, *
Et puis, en moins de temps qu’il n’en faut pour se taire,
Lassés de cet exil, redescendant sur terre
Briguer modestement un macabre fauteuil,
Une épée imbécile, un habit en cerfeuil.
Ils pouvaient aussi bien, dans ces pourpris célestes,
Vivre comme des dieux d’amour et de beaux gestes,
Cueillir nonchalamment la rime au rire clair,
Non. Ils ont aimé mieux fuir la splendeur des cimes
Et changer leur or pur en ténébreux décimes.
Ah ! les pauvres chéris ! Le cœur leur a manqué.
Ils étaient destinés à finir sur le quai,
Rivés à ce travail qui n’est pas ordinaire :
La contribution au Grand Dictionnaire !

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* ...*


O Muse ! redis-moi les derniers revenus
De ces jeunes héros, du haut des monts chenus,
Qui, sans regret, laissant leur lyre au vestiaire
Vont croquer le marmot chez monsieur Blondetière,
Chez le chand de crayons nommé bureau Mangin…
Chez Chose, un vieux curé… chez le savant… Machin,
Ils sont sept - m’a-t-on dit - tant vieillards comme éphèbes.
Nous les appellerons les sept chefs devant Thèbes,
*
A cela près que leur Thèbes est un fauteuil
Dont au moins six d’entre eux devront faire leur deuil.

*
* ...*



Le premier de ces preux est un homme de chance
Auteur d’un nouveau jeu dont il dota la France ;
Il a de plus - ayant sa manière élargi -
L’honneur d’être joué par monsieur Lebargy ;
Ça n’est pas rien. Il a de la gaieté native
Et, comme qui dirait : de l’imaginative.
Le second, vrai dandy, Diogène élégant
Promène sa lanterne au boulevard de Gand ;
Et quand on veut savoir ce qu’il cherche et réclame,
Il répond, à l’instar du Cynique ? … une femme.
Cet être, jeune et beau, qui n’a pas les doigts gourds,
Sur les vices d’autrui tape comme deux sourds…
A moins que ce ne soit le précédent. Possible.
En tous cas, tous les deux visent la même cible.
Ils sont, comme l’on dit, du même bâtiment.
Le quel l’emportera, dites-moi, Dieu clément ?
Je crois qu’ils ont tous deux des atouts identiques.
Ils se partageront les auteurs dramatiques :
L’un, ayant Pailleron, Bornier, l’autre Sardou,
Ludovic Halévy. Ce n’est pas le Pérou.
Le troisième porte un nom d’arbre… voyons… orme !
Ça rime avec le mot énorme… ah ! J’y suis : Charme.
C’est un fin érudit. Il aura, comme il sied
Les voix des professeurs, les Gréard, les Boissier…
Le quatrième - diable ! - est un vrai boule-dogue
Qui vous regarde ainsi qu’un corbeau, de travers.
Son œuvre n’est pas pour grossir un catalogue,
Car il semble avoir pris pour devise ce vers :
Évitez de Vitet la stérile abondance.


S’il ne fait pas nombreux, en revanche, il fait dense ;
Ses titres, valent bien - ça n’est pas l’embarras -
Ceux de tel ou de tel qui n’en a pas fait gras ;
Cependant, vous verrez que ces sempiternelles
Te vous le renverront à ces Polichinelles.
Le postulant cinquième est-ce Rougon-Macquart
Dont ne veut même pas le bon monsieur Pingard ?
Ah ! Rougon comme tu as tort d’insister ! Voire
De ne pas demeurer dans ta tour d’ivoire !
Ils te blackbouleront derechef cette fois,
A l’unanimité, vois-tu, plus une voix.
Le sixième, Poitrail, un brave militaire,
Est digne à tous égards de poser son postère
Sur le fauteuil sacré. Mais, le nommeront-ils ?
Un militaire est peu devant tant de civils.

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* ... *

Le septième… ah ! Seigneur ! En nommant le septième
Il me semble vraiment que je chois d’un huitième !
Il s’appelle monsieur Lambert de Saint-Amand,
Laband de Saint-Amert, Lamert de Saint-Aband !
Ce seul adverbe joint fait admirablement.

Mon dieu, vous me direz que j’ai peu de lecture,
Mais je n’ai jamais lu de sa littérature.
En fait-il, seulement ? Savez-vous ce qu’il fait ?
Est-il ancien ministre, ou nouveau sous-préfet ?
Dites-moi qu’il pondit soixante et dix volumes,
Je n’en avalerai pas pour cela ma plume.
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Imbert de Saint-Amand ! Si c’était seulement
Ce si délicieux et bon gros Saint-Amant !
Ma foi, ce serait une autre paire de manches.
Je lui consacrerais mes rimes des dimanches ;
J’aurais pour lui les yeux de son ami Faret
Qui, si fatalement, rimait à cabaret.

Mais non. Ce Saint-Amand Lambert, vrai, je l’ignore.
Et quand on me l’apprend, ne le sais pas encore.
J’estime qu’il est vieux, voilà tout. Aujourd’hui,
Un jeune, dès longtemps, eût fait parler de lui.
Ce ne sont là, d’ailleurs, que mots hypothétiques.
Je crois bien avoir lu dans les feuilles publiques
Qu’il est très pistonné par les ducs. Alors, quoi ?
Les autres concurrents peuvent se tenir coi :
Avoir les ducs pour soi, cela passe richesses.
Et s’il n’a pas les ducs, il aura les duchesses.


RAOUL PONCHON

Le Journal
07 mars 1898




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