29 nov. 2007

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LE LION
(CONTE POUR L’EMPEREUR)
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Un jour, un lion famélique
Ne trouvant plus rien à manger
Sur son domaine, mille bique,
Ni non plus le moindre berger,

Se dit : « Par Allah ! tout de même,
Je ne saurai brouter du foin,
Quand ce serait jour de carême,
Si j’allais voir un peu plus loin ? »

Or, plein de la faim qui le broie,
Il part, nez au vent, queue en l’air,
A la recherche d’une proie
Qui semble échapper à son flair.

Il ne voit qu’une herbe du diantre,
Que de maigres touffes d’alfa.
Je regrette presque son antre
Et ses gorges de la Chiffa.

Il arrive au désert sans borne ;
Rien n’y bouge, rien n’est vivant.
Partout la solitude morne,
Toujours l’horizon de ce vent.

Après une journée entière,
Voici que ce lion maudit
Se trouve juste à la frontière
De l’Empire Lebaudy. * *
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Il s’y trouvait une potence
Ou, si vous voulez, un poteau,
Sur lequel en toute évidence,
Se détachait un écriteau.

Sa stupéfaction fut grande
Lorsqu’il déchiffra ceci :
« Défense, sous peine d’amende
Au lion de chasser ici. »

Ce brave lion, somme toute,
Sans entrer en rébellion,
Aurait pu prendre une autre route,
C’est ne pas connaître ce lion.


« Ah ! ceci vaut bien qu’on en cause ;
- Dit-il - en voilà des chameaux…
Me défendre, à moi, quelque chose,
Qui suis le roi des animaux !


« Je la trouve un peu bien sévère,
Par Allah ! je voudrais savoir
Qui m’empêcherait de le faire ?
N’entrer pas ici !… tu vas voir.

« Malgré cet avis péremptoire,
Je veux chasser dans ce pays ;
Je le veux, rien que pour la gloire.
Et, quand j’en aurais mille ennuis !…

Et plus prompt que de la dynamite,
Sans plus autrement réfléchir,
Il franchit l’absurde limite,
Qu’il n’aurait dû jamais franchir.

Hélas ! Le pauvre camarade,
A peine il eut fait quelques bonds
Qu’il tomba dans une embuscade
De Marocains nauséabonds.


MORALITE

L’homme est quelquefois moins brave
Que ce monarque du désert ;
Mais, comme lui, s’il fait le zouave,
Il est fichu. A quoi ça sert ?…




RAOUL PONCHON
Le Journal
14 sept. 1903

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