8 juil. 2010

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.Chamberlain adore les fleurs
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Chamberlain adore les fleurs, *
Leur candeur, leur galbe et leur faste
Et leurs parfums et leurs couleurs.
C’est évidemment par contraste.


Robespierre était dans ce cas -
A ce qu’on dit. Il n’est pas rare
De trouver ces goûts délicats
Chez des gens au cœur de Carrare.


Donc ce farouche Chamberlain
Adore les fleurs - la crapule !
Il les renifle, ce félin,
Les tracasse, les manipule !


Il fait ses délices des lys ;
Il cueille de ses doigts moroses,
Pour le corset de ses Philis,
Les plus fashionables roses.


Parfois on le voit qui pâlit
Devant la plus humble fleurette ;
Il rêve sur le pissenlit,
Sanglote sur la pâquerette.


Ainsi que notre Montesquiou,
C’est un chef des Odeurs Suaves.
On l’a surpris souvent à Kiew
(1)
Disant aux fleurs : vous êtes braves !
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Plutôt des fleurs et du pain sec…
Sans fleurs, pour lui la vie est nulle.
Il sonne ses laquais avec
Des clochettes de campanule.

Le soir, ce vilain gaillard-là,
Toute bosogne liquidée,
Se met un habit de gala,
Et se pare d’une orchidée ;

Puis, il s’en va dans les salons
Semer des fleurs de rhétorique
Et poser les premiers jalons
De quelque nouveau Sud Afrique.

L’hiver le retrouve bien las.
Le printemps vient : ses yeux sévères
Regerment aux premiers lilas,
S’ils n’éclosent aux primevères.

Il arrivera des malheurs,
Bien sur ; car, avec sa folie,
C’est peut-être en cueillant des fleurs,
Qu’il finira, comme Ophélie
.

Tout dernièrement, au Transvaal
Notre sinistre personnage
Parcourait sur un bai cheval
Les lieux encor chauds de carnage.

 
- « Las ! dit-il - que de sang versé,
Mais aussi que de fleurs superbes -
Voyez - en ces gens engraissés,
Où ne poussaient que folles herbes ! »



Et d’un geste non sans ampleur,
Pour honorer à sa manière
Ses mots, il cueillit une fleur
Dont il para sa boutonnière.


Ressemblant à ces scélérats
Qui de leur main encor rougie
Écrivent sur l’air :
Ça ira,
Une berquinesque élégie…



RAOUL PONCHON
Le Journal
23 août 1903



(1) grand parc botanique près de Londres

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo. Du cynisme avec des fleurs !
du bon Ponchon qui n'est pas uniquement un poète bacchique.