14 oct. 2007

.
.
.

L'OKAPI
.


Le Muséum d'Anvers offre cent mille francs
à qui apportera vivant un OKAPI - animal, paraît-il, très rare.
(Journaux)


Okapis, si vous savez lire,
Voyez ce qui vous pend au nez.
Allez, c'est bien fini de rire,
Misérables infortunés !

Jusqu'à ce jour vous échappâtes
A nos savants, nos muséums,
A nos foires et nos barnums,
Vous ne fites jamais d'épates
Entre des moutons à cinq pattes
Et des hommes au chef de veau.

Vous viviez sur de beaux rivages
Toujours divers, toujours nouveaux
Et peut-être bien AB OVO,
Et, sans doute, en hordes sauvages.

Je crois que les plus érudits
Ne savaient de vous qu'une chose,
C'est que vous étiez fort - si j'ose,
Singulièrement mal bâtis,
Les jambes en manche de gaffe,
Tenant, par la grâce de Dieu,
En quelque sorte le milieu
Entre l'onagre et la girafe.


Cette fois vous n'y coupez pas.
Vous pensez bien, si de ce pas
Quelques Belges sont à vos trousses,
Vous aurez beau fuir dans vos brousses,
Dans vos forêts ou vos pampas !


La somme n'est pas fort épaisse
Que l'on offre de l'un de vous,
Pour des gaillards de votre espèce,

Mais Anvers n'est pas le Pérou.
Restez quand même en défiance.
Que ne fait-on pour la Science !
Déjà des voyageurs pénards
Vous préparent maints traquenards.
Cent mille francs, c'est bon à prendre.
On n'en voit tous les jours se vendre
Pour moins que ça. Pour ce prix-là,
On aura toute la smala.

Que si c'était pour vous occire
Ce ne serait rien. Mais, sort pire -
Ces abominables savants
Veulent vous posséder vivants.
Vous serez soumis à des drôles
Dans des cages et dans des geôles,
Et des brutes le plus souvent
Vous taquineront de leurs gaules.


Vous quitterez vos doux climats
Pour les neiges et les frimas
Qui sont nos saisons ordinaires,
Et vous crèverez poitrinaires
Ainsi que vos frères PUMAS !
On vous mettra dans des chlorures,
O misérables okapis !
On fera de vous des fourrures
Des fourrures ou des tapis,
A moins que l'on vous empaille,
Pour vous montrer à la canaille.

Ce n'est pas vous, pauvres gibiers,
Qui devriez être empaillé !



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
17 avril 1904



Aucun commentaire: