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O braves vignerons aubois,
Si tranquilles naguère,
Mon coeur se serre, quand je vois
Comme on vous fait la guerre.
Ainsi donc, selon ces Marnois,
Les raisins de vos vignes
Ne font pas de vins champenois,
Etant des plus indignes.
Ils ne vous ont jamais donné
Qu'une affreuse piquette.
Seuls les vins de Reims, d'Epernay,
Méritent l'étiquette...
Seuls, ils peuvent se dirent "nés"
Qui sortent de leurs cuves.
Les vôtres ne sont pas patronnés
Qu'en tant que pédiluves.
Aubois, j'ignore vos raisins
Et je ne saurais dire
S'ils valent ceux de vos voisins,
S'ils donnent un vin pire.
Je n'ai jamais goûté beaucoup,
Je le dis à ma honte,
Le Champagne de n'importe où.
Et, pour mon propre compte,
En matière de vin, au fond,
Je ne vois de limite
Qu'entre le mauvais et le bon,
Et jamais je n'hésite...
Le vôtre, de vin, s'il vous plait,
Est-il bon ? Je l'ignore.
Après tout, il est ce qu'il est.
Mais serait-il encore
- Tenez, je vais même plus loin -
De tous points exécrable,
Qu'il pourrait se dire, pas moins,
Du Champagne, que diable !
Car, enfin, le département
De l'Aube fait partie
De la Champagne. Et donc, vraiment,
Pourquoi cette sortie
Que vous font ces seigneurs marnois ?
Quelle fureur les gagne ?
Pour moi, tout vin est champenois
Qui vient de la Champagne.
La question, la voilà bien.
Et vous voulez le vendre
Comme tel, et nul n'y peut rien,
Si je sais vous comprendre.
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Vignerons, ne vous frappez pas.
La querelle est bouffonne
Et vous sortirez de ce pas,
Allez, votre heure est bonne.
Si vous perdiez votre procès,
Ce serait, ma parole,
A dégoûter d'être Français,
A perdre la bousole...
Après tout, pourquoi, les Aubois,
Bien que la Marne en gronde,
Ne seriez-vous pas Champenois
Ainsi que tout le monde.
Raoul Ponchon
le Journal
13 oct. 1913
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