12 oct. 2007

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POUR LA JEUNE TURQUIE
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Un jour, dans un cirque bête,
Je vis un gros éléphant
Jouer, la trompe en trompette.
Vous eussiez dit un enfant.

Je dis jouer ?... c'est possible...
Mais il n'en avait pas l'air ;
Son désir étant visible
De ne pas jouer, c'est clair.

Une espèce de crapule,
- Si vous voulez son cornac -
Vrai pygmée auprès d'Hercule
Lui fichait un sombre trac ;

A grands coups de chambrière
Le faisait évoluer
A droite, à gauche, en arrière,
Et valser et saluer.

Il ne s'en irritait guère.
Ces coups, lui, faisaient, je crois,
Ce que peut faire un cautère
Sur une jambe de bois.

Je n'en étais pas moins triste
De voir le pauvre animal,
Au milieu de cette piste,
Se donner autant de mal.

A l'instar d'une levrette,
Il faisait des bonds, des sauts ;
Il montait à bicyclette,
Et passait dans les cerceaux.

Quelquefois, sur son derrière
Se dressait ce monument
Comme pour une prière...
C'était pénible vraiment.

Tout cela, je vous demande
Un peu pourquoi, chers lecteurs ?...
Pour amuser sur commande
Un milliers de spectateurs.

Certe - ou bien si je me trompe -
La noble bête aurait pu,
D'un seul revers de sa trompe,
Jeter son maître au rebut,

En faire une chose morte
Sans aucun précis contour,
Un cadavre qu'on emporte...
Ca dut se passer, un jour...


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* *


Le Peuple est pour ainsi dire
Ce pachyderme bénin :
Il se laissera conduire,
Brave géant, par un nain

Qui l'abrutit et l'épate
Avec des mots longs de ça...
Qui lui fait donner la patte,
Jusques au beau jour où sa

Singulière patience
Est au bout de son rouleau.
Alors il prend conscience
De sa force et dit : Tout beau !

Et soulevant son bonhomme
En n'y mettant que deux doigts,
Lui brise la tête comme
Une coquille de noix.


RAOUL PONCHON
le Journal
10 août 1908




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