12 oct. 2007

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Les Deux Musiciens
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FABLE
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Un jour Wagner passait : les rois les plus superbes
Se courbaient à ses pieds comme de simples herbes.
Tous les peuples disaient : n'y a qu'lui !
un Ambroise Thomas, le front ceint de rhubarbe,
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Fendit les peuples, prit le maître par la barbe,
Et lu tint le crachoir qui suit :

" Richard Wagner, toi qui débines ma patrie
" que j'aime, j'en suis sûr, avec idolâtrie
" Au point d'en paraître Alsacien,
" Ecoute-moi, seigneur des Wagnériens sans nombre,
" Ombre de Berlioz qui de moi-même est l'ombre,
" Tu n'e qu'un ignoble Prussien !

" Un peu de mon génie à ton insu t'éclaire,
" Cependant ta musique est une sombre glaire
" Qui m'a fait vomir à l'Eden,
" Ce temple où Lamoureux tient son concert infâme ;
" Tu peux aller de pair avec ton Bach sans âme
" Et ton crapuleux Beethoven.



" Mais ton heure est venue, insensé, téméraire,
" Tes jours sont révolus, tu ne peux t'y soustraire ;
" Massenet l'a dit à Gounod.
" Oui tu seras depuis longtemps dans la nuit noire
" Que moi je n'aurai pas encor' fini de boire
" Du Picotin et du Pernod (1).


" Jusqu'à la fin des fins des matières cosmiques
" Un ange te dira mes opéras-comiques
" Et mes comiques opéras ;
" Mes bémols baveront sur toi comme des loches,
" Et tu seras rongé par mes octuples croches
" Comme par des milliers de rats.


" Ceci doit t'arriver ou le diable m'emporte,
" Avant que l'assassin soit trouvé, que la Porte
" Saint-Denis soit... et caetera ;
" Quand même pour tromper saint Pierre dans sa loge
" Tu lui dirais : Je suis natif de Limoge,
" Je me nomme Olivier Métra ! "



Wagner avait sur lui trois fusils, une paire
De pistolets et cinq couteaux ; il eût pu faire
Mort notre vieux contemporain :
Pourtant il ne le fit pas, il le laissa dire,
Puis sans ouvrir le bec plus qu'une tire-lire,
Lui dit : " Pioche ton Lohengrin. "




RAOUL PONCHON
le Courrier français
01 mai 1887



(1) Chacun sait que monsieur Thomas boit beaucoup? C'est ce qui explique sa musique.

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