15 oct. 2007

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Au Jardin du Luxembourg
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Hier, ce jardin du Luxembourg
Cher au père Banville
Etait - disons-le sans détour -
Le plus beau de la ville,

La perle du quartier Latin,
Qui, du reste, est le nôtre ;
Les fleurs m'y semblaient meilleure teint
Qu'en importe quel autre.

Enfin, c'est mon avis à moi :
Un vrai jardin de prince,
Avec, mon Dieu, je ne sais quoi
Qui sentait sa province.

Là, les écoliers amoureux
Dans votre Allée, ô Veuves !
S'y promettaient à qui mieux mieux
Des amours toujours neuves.

Ici, nourrices et troupiers
Se murmuraient des choses...
Tandis que c'étaient, pépiés,
Des cris de bébés roses.

Dans les taillis et les fouillis
De fleurs, pinsons et merles
Egrenaient leurs gais tirelis
Comme un collier de perles.


On y trouvait de bons vieillards,
Exempts de forfaiture,
A mille pierrots babillards
Donner la nourriture.

La fontaine de Médicis,
Qui est tout un poème
Avec Galathée et Tircis
Surpris par Polyphème,

Etait l'aimable rendez-vous
Des graves philosophes,
Voire aussi des poètes-fous
Y déclamaient leurs strophes.

Plus loin, un guignol folichon
Restait le seul, peut-être,
Où saint Antoine et le cochon
Régnaient toujours en maîtres.

Puis c'étaient encor d'autres jeux,
Tennis et longue-paume,
Car on trouvait de tout un peu
Dans ce petit royaume.

Enfin, Bérenger, cher aux Dieux,
Veillait sur leurs statues,
Et parfois d'un pampre pieux
Couvrait les moins vêtues.

Tout ce monde, vivait en paix
Loin des discordes viles,
Et loin du pammuflisme épais
Qu'on trouve dans les villes...


*
* .. *


Aujourd'hui que la Haute-Cour
Se livre à son manège,
On dirait que le Luxembourg
Est en état de siège.

A cause de ces babouins
La grille en est fermée,
Et dans tous les coins et racoins
On a mis de l'armée.

Tu vois scintiller un soldat.
Auprès de chaque marbre,
Tel à pied, tel autre à dada,
Et derrière chaque arbre.

" Où sont donc les petits enfants,
- Dit Leconte de Lisle -
Hier si bruyants et si vivants ? "
Et le Père Banville :

" C'est à cause des attentats...
En effet, c'est bien triste...
Comme de voir tant de soldats
Et pas une nourrice ! "

La faune emmi son boulingrin,
Dont nous parle Verlaine,
A laissé là son tambourin
Et son flûtiau d'aveine.

Faut voir les pierrots babillards
Les mines inquiètes :
" Où sont ces excellents vieillards
Qui nous jetaient des miettes ?

Ces fusils que l'on voit briller
Disent-ils, pourquoi faire ?...
Va-t-on encor nous fusiller ?
Comme pendant la guerre ?


" Qu'est-ce donc que nous avons fait ?
Pourquoi ces trouble-fêtes ?
Est-ce de rechef Galliffet
Avec ses galipettes ?...


RAOUL PONCHON
le Journal
27 nov. 1899




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