27 févr. 2010

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A EDMOND ROSTAND
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Je n’eusse onque pu croire
Envers ta jeune gloire
Le monde rosse tant,
Mon cher Rostand.

La vulgaire pécore
T’acclamait hier encore ;
Pour elle, hier encore
Tu n’étais qu’or,

Que talent et génie ;
Et ta muse infinie
Chantait au moins té vé,
Comme Calvé.

A toi tous les triomphes,
Toutes rimes en omphes
Et tout le bataclan,
Et tout le clan

Des sires de la Presse,
Ainsi qu’une maîtresse,
T’encensaient, t’adulaient,
Et gratulaient.

Tous ces messieurs critiques
Trouvaient de pathétiques
Expressions pour te
Déclarer Dieu !

« Ah ! disaient-ils, le bougre
Est du tout dernier lougre ;
Ce Rostand est vraiment
Du bâtiment.

« D’en seul coup, il enfonce
Et Musset et Alphonse ;
Et près de lui Hugo
N’est qu’un mégot. »

Sans mesure, sans règle,
Tu fus l’aiglon, puis l’aigle ;
Mais tu volas trop haut,
Trop vite ! « Oh ! oh !


- Ajoutèrent ces braves -
Parbleu, si tu nous braves,
Nous te démolirons,
Nous te tûrons.

« On veut bien te permettre
Un chef-d’œuvre, cher maître.
Mais ce serait hideux
D’en faire deux… »

Or, tu les fis quand même.
Comment veux-tu qu’on t’aime ?
C’est pourquoi n, i, ni,
Tout est fini

Pour toi. Tu vois les rosses,
Qui poussaient ton carosse
Plus pour le faire choir
Que bien marchoir,

S’épuiser, imbéciles,
En syntaxes faciles,
En verbes superflus…
Voire, de plus,

O bon pêcheur de lune !
Tu as de la fortune,
Tu es jeune, mon vieux,
Et glorieux…

C’est pour eux la maldonne ;
Chez nous, on ne pardonne
Jamais ces choses-là,
Songe à cela…


Et sur une autre grève
Va poursuivre ton rêve,
Tranquille, insoucieux
De ces messieurs ;

Avec ta Rosemonde,
*
Ta femme rose et monde,
Avec tes triomphants
Et beaux enfants.


Raoul Ponchon
Journal 11 juin 1903

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