13 oct. 2007

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LE RADIUM
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En admettant que toutes les sciences fussent achevées et que la philosophie pût se constituer comme une science des sciences, et nous donner la formule de l'Univers, cette science dernière serait le tombeau de l'esprit humain si elle le privait de ses songes.
J.BOURDEAU
(Etude sur Renan)
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Et l'on parle de ta faillite, ô Science ! Ah !
Quel est le failli fils de chien qui prétend ça ?
Quel est le déplorable et navrant Brunetière
Jouissant d'une assez fumeuse "cafetière"
Pour avancer pareille incongruité ? ... Mais,
Au contraire, c'est toi qui ne faillit jamais,
O Science ! Et tandis que l'Art et la Poésie
Sont atteints de marasme et de paralysie,
Et ne font plus un pas dans le chemin du Beau,
Ne vont que répétant la "course du flambeau",
Cependant - dis-je - que, poètes comme artistes
Remâchent le Passé comme des archivistes,
O Savants ! il n'est pas de jour, en vos retraits,
Où vos travaux ne soient marqués par un progrès,
Par une invention prodigieuse et rare
Devant quoi Dieu lui-même, en son pourpris, s'effare.
Vous êtes, ô Savants, les hommes les plus mûrs ;
Vous tuez le mystère entre vos quatre murs.
Il est bien évident que le secret habite
Au fond de vos creusets et de vos curcubites.
Les Poètes charmants ne savent que rêver ;
Vous seuls savez trouver ce qu'il convient trouver.
Et vous démolissez tous nos châteaux de sable.
O fouilleurs de l'Abscons et de l'Inconnaissable.

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Le Siècle dix-neuvième, énorme et sans-second,
Est, quant à la Science, en miracles féconds.
Que d'erreur abolie ! et que de découvertes !
Sur toutes questions, que de portes ouvertes !
Nous pouvons aujourd'hui concevoir tout de go
L'Avenir moins obscur qu'un nègre du Congo,
Et le siècle qui vient n'en est qu'à son aurore !
Car ce que nous savons n'est pas grand'chose encore.
Chaque jour, en effet, nous amène avec soi
Un fait nouveau, parent, qui concourt à la Loi.
Le chimiste têtu, dans son laboratoire,
Analyse la Vie et n'en fait pas d'histoires.
Tant qu'il ne tiendra pas l'Unique et l'Absolu,
Il n'est pas de ces gens qui disent : M'as-tu lu ?

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Hier encore un savant, voire même, une femme
- Qu'est-ce qu'on deviendra si s'en mêlent les femmes ?
Découvrait un métal qu'il nommait radium
Auprès duquel tout autre est du méconium.

Ce métal singulier, inouï - disons kurde,
Semble, au premier abord, quelque chose d'absurde.
Il a mille vertus et cent propriétés ;
Songez que dans l'hiver il peut faire l'été ;
Suffit d'en prendre gros comme un grain de sésame
Pour que l'on ait chez soi la chaleur et la flamme ;
Ses rayons perceraient tout un mur de prison !...
N'est-ce pas là de quoi turbuler la raison ?

Non, la Science n'est pas morte, elle commence.
Et le nier, Messieurs, c'est la pure démence.

Ah ! si vous me disiez que le Progrès terrien
Au fond ne nous avance absolument à rien,
Nous serions tous d'accord? Car cet inexorable
Progrès fait notre sort encor plus misérable.
Ne nous enlève-t-il pas toute illusion,
Sans trancher la définitive question ?
Nous serons un beau jour à quatre pieds sous terre :
Ainsi vous concluez, savants, autant vous taire.

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En attendant, ce rare et puissant radium
Est un fort bel objet à mettre au muséum.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
20 déc. 1903



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