1 oct. 2007

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LE SAINT SUAIRE
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… Les raisonneurs qui veulent tout expliquer, tandis qu’au contraire il ne faut jamais rien expliquer.
BANVILLE ( Mes Souvenirs )

J’adorais depuis bien longtemps
Déjà le Saint Suaire,
Sur la foi de témoins constants
Comme le Grand Vicaire.

Et je ne doutais pas d’y voir
La divine effigie
Du Christ, sans, d’ailleurs, concevoir
Quelle est cette magie…

Et puis des docteurs sont venus
Bourrés d’expérience,
Troublant mes esprits ingénus
Avecque leur science.

« Comment, après dix-neuf cents ans,
Veux-tu, stupide espèce,
Que la trace du Divin sang
Encor nous apparaisse ? -

M’ont dit ces Goths, ces Visigoths -
« Laisse là ces guenilles :
Ce sont des attrape-nigauds
Dont l’Eglise fourmille.

« Trèves nous a déjà montré
Une sainte tunique,
Et Rome, le voile sacré
De sainte Véronique…

« Il est probablement écrit
Que, si nul ne s’en dérobe,
Nous aurons tôt de Jésus-Christ
Toute la garde-robe !…

« Nous allons te dire comment
Ce Suaire-légende
Peut s’expliquer chimiquement… » -
Hé ! Parbleu ! Qu’on me pende !…

Je m’y refuse absolument.
Et je ne saurais mie
Me tabuster l’entendement
De la moindre chimie.

Toutes vos explications
Me seraient étrangères.
Laissez-moi mes illusions,
Elles me sont trop chères.

Puis, ce Suaire, bonnes gens,
Et voilà bien l’obstacle,
Ne tombe pas sous votre sens,
Puisque c’est un miracle.

Qu’importe un de plus ou de moins,
Au siècle où nous en sommes ?
Tous les jours, nous sommes témoins
De bien d’autres, en somme…

Quoi qu’il en soit, et quant à moi,
Je ne crois qu’aux miracles ;
Aux seules légendes j’ai foi,
Voui, messieurs les oracles :
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Les contes à dormir debout,
C’est ça que j’aime entendre ;
Un bâton qui n’aurait qu’un bout
N’est pas pour me surprendre.

Légendes et miracles sont
Autrement péremptoires
Et satisfont plus ma raison
Que toutes vos Histoires.

Allez, messieurs les esprits forts,
Vous y perdez votre encre.
Malgré vos robustes efforts,
Dedans ma foi je m’encre.

Et, tout comme hier, aujourd’hui
Je crois au Saint Suaire.
Si, par malheur, ce n’est pas lui,
Nous n’y pouvons rien faire.



Raoul Ponchon

le Journal
05 05 1902
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