9 oct. 2007

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CALMEZ-VOUS, NEGRES BLANCS !
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Que les uns aient raison, que les autres aient tort,
Il serait affligeant que l'on fût tous d'accord ;
Autant vouloir aussi que le Sud soit le Nord.

D'abord on a raison chacun à sa manière ;
Chacun également d'une façon plénière
Est roi de sa chacune et de sa chacunière,

Et pense ce qu'il veut. Soyons donc indulgents
Pour ceux qui ne sont pas de notre avis ; les gens
Sont tantôt idiots, tantôt intelligents.


Vous ne voudriez pas qu'un chacun fût Shakespeare ?
Ni non plus Georgeohnet ? Ah ! tant mieux, je respire !
Encore sait-on pas lequel serait le pire ?

Les qualités n'ont point le pas sur les défauts,
Ni les trônes d'or sur les rouges échafauds ;
Tout autant que du vrai l'on a besoin du faux.


Le faux n'est pas l'envers du vrai, c'est autre chose :
Aussi le lys n'est pas l'opposé de la rose,
Aussi le vers n'est pas pour combattre la prose.


Tout se complète, tout est utile ; le mal
Comme le bien, et rien de rien n'est anormal,
Non plus le merle blanc que tout autre animal.


Les méchants et les bons ont mêmes raisons d'être ;
Un esclave n'a lieu qu'autant qu'il sert un maître,
Et Dieu doit exister tout autant que le prêtre.

A chaque romantique il faut un décadent ;
Le moindre abbé Didon vaut un Sâr Paladan,
Tout Alchinof complète une madame Adam.


L'un arrache les dents, l'autre boit aux wallace
Ou bien font un métier encore plus fallace,
Se murant en son moi comme dans une glace.

Que voulez-vous ? Chacun a son rôle ici-bas.
L'un met l'or dans un coffre et l'autre dans ses bas :
C'est son affaire et ça ne vous regarde pas.


Laissez aux buveurs d'eau leur breuvage illusoire,
On ne peut décemment leur cacher une histoire
Tant qu'ils n'obligent pas les autres à le boire.

Il faut des buveurs d'eau ; aussi des gueux fieffés
Pour tuer les huissiers sinistres, les Gouffés,
Sans quoi sous les protêts nous serions étouffés.



Tenez,moi par exemple, eh bien j'aime une femme
Bancroche, bigle, chauve, étique, antique, infâme :
Il le faut ! car qui donc l'aimerait ? ô mon âme !


Si tout le monde allait sur le même trottoir
Ce serait un fouillis qui ferait mal à voir :
Laissons les gens tout à leur guise se mouvoir.


Trouvons bien que Bonnat parte pour l'Allemagne ;
Que d'autres peintres s'en aillent en Espagne
Et nous emmènerons le reste à la campagne.


Nous n'avons rien en somme à faire de Bonnat,
A moins de l'envoyer siéger au Sénat ?
Il vaudrait mieux, je crois, qu'il nous abandonnât.


Qu'il parte donc alors, sans plus de manifeste,
En emportant son jus de chique et puis sa veste,
Chez son ami ami Guillaume, et surtout qu'il y reste.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
1er mars 1891

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