2 oct. 2007

.
.
CONSEILS D’UN PERE A SON FILS
.

Un pochard de fort numéro,
Tout entier à son vice,
Mena son fils chez un bistro,
En guise d’exercice.

Là, tandis qu’il va s’échauffant,
Buvant verre à verre,
Il lui dit : « Vois-tu mon enfant,
Écoute ton vieux père ;

« Tout ce que le Seigneur Dieu fit,
C’est pour le bien des hommes.
Faisons-en donc notre profit,
Heureux gueux que nous sommes.

« Ainsi, par exemple, le Vin,
Le rhum et l’eau-de-vie,
C’est excellent, disons divin ;
Cela vous vivifie,

« Vous réchauffe et donne du ton.
Et pour quant à l’absinthe,
Ce n’est pas pour rien, mon fiston,
Qu’on la dit « herbe sainte ».

« Seulement, il est évident
Qu’il n’en faut pas trop boire.
On y perd son cheveu, sa dent,
Ainsi que la mémoire…

« L’ivrognerie est, à coup sûr,
Le vice le plus pire,
Attendu qu’il exerce sur
Les autres son empire.



*
* *


« Je vais t’initier du coup
A quelques bonnes choses,
Mais n’en abuse pas surtout,
Pour les susdites causes. »

- j’entends, papa, dit le marmot,
Tu peux être tranquille ;
Je veux t’écouter mot pour mot,
Comme un enfant docile.

« Mais je suis bien embarrassé
Comment jamais saurais-je
Si j’ai bu trop ou pas assez ?…
On l’ignore au collège. »

« Qu’est-ce que tu veux, mon petit,
On boit, ça va sans dire,
Tant qu’on se sent en appétit
De boire sans se nuire…

« pour la question de savoir
Quand il faut qu’on s’arrête,
C’est aisé, comme tu vas voir
Et ne t’en inquiète.

« Regarde-moi ces deux vauriens,
En train de se débattre
Avec le mastroquet.. eh bien,
Quand tu les verras quatre,

« C’est que tu seras soûl perdu,
Voilà du péremptoire,
Alors il est bien entendu
Que tu cesses de boire. »



- Oui, papa. Mais ces deux messieurs,
Où sont-ils ? Car, en somme,
J’ai beau écarquiller les yeux,
Je ne vois qu’un seul homme



Raoul Ponchon
Journal 4 déc. 1911







Aucun commentaire: